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Amaury Bouhours, comment devient-on, à 33 ans, chef exécutif d’un palace ?

Petit, je n‘avais pas l’idée de devenir cuisinier. J’ai grandi en région parisienne puis à Compiègne. J’étais un garçon hyperactif, impatient, sinon turbulent. Impossible pour moi de rester assis toute la journée sur les bancs de l’école. Le premier déclic pour les métiers de bouche survient à 14 ans à l’occasion d’un stage chez un boucher. C’était concret, manuel et finalement cela m’a amené à faire l’école hôtelière de Soissons. Ce monde m’a tout de suite captivé. J’ai fait un stage de six mois au Louis XV d’Alain Ducasse à l’hôtel de Paris de Monaco où j’ai rencontré deux grands chefs, Pascal Bardet et Franck Cerutti. On m’a proposé de rester avant même la fin de mon école mais j’ai préféré finir mon cursus et je voulais rester à Paris. Pascal Bardet a appelé Christophe Moret au Plaza Athénée. Ca a été mon premier CDI. C’était dur, avec beaucoup d’intensité mais ça me plaisait.

C’est au Plaza Athénée que vous devenez vraiment cuisinier puis chef ?

Un jour, à Monaco, Franck Cerutti m’a demandé: « qui es-tu ? » Je lui ai dit: « je suis cuisinier ». Ce à quoi il m’a répondu : « non, un cuisinier c’est quelqu’un qui a fait tout le tour des cuisines ». J’ai compris le message. Et donc au Plaza j’ai fait tous les postes pour devenir cuisinier. C’est après seulement que je me suis dit que je voulais être chef. Quand vous avez passé plus de dix ans dans des deux et trois étoiles, des palaces, vous vous dites que vous n’avez pas fait ça pour être autre chose que chef de palace. Et j’ai eu la chance d’être là au bon moment. Christian Saintagne, au Plaza, m’a donné confiance et ma chance. Avec lui j’ai su qui j’étais. J’ai évolué très vite et à 23 ans je suis devenu chef de partie. Puis il y a eu l’arrivée de Romain Meder. En six ans au Plaza j’ai donc eu la chance de côtoyer ces trois grands chefs. Après deux ans comme sous-chef chez Lasserre je suis arrivé au Meurice en 2016 comme chef adjoint de Jocelyn Herland. J’y ai appris la gestion d’une cuisine, le métier de chef… Et quand Jocelyn est parti chez Taillevent, j’ai repris son poste de chef exécutif… trois jours avant le confinement !

Vous n’êtes donc jamais sorti de l’orbite d’Alain Ducasse. Ce n’est pas trop écrasant, la tutelle d’une personnalité aussi forte ?

Peut-être quand j’ai débuté, ça a pu m’intimider. Mais là, au Meurice, je suis en totale liberté. Aujourd’hui les testing ne sont plus comme avant. Chaque fois que le chef vient, je lui présente de nouveaux plats, on en discute, on échange… Le chef Ducasse a toujours donné leur chance aux jeunes. Au Meurice le directeur de salle Olivier Bikao a 33 ans, le sommelier Gabriel Veissaire 34 ans, le chef pâtissier Cédric Grolet, qui est là depuis de nombreuses années, n’a que 36 ans… Et je pense que le chef Ducasse est un précurseur depuis la nuit des temps, avec toujours une longueur d’avance. Exemple, la naturalité. Il a été l’un des premiers à proposer au Louis XV il y a bien longtemps un menu gastronomique entièrement végétal. Aujourd’hui tout le monde le fait. Idem pour le chocolat, le café, les glaces… Il va au bout. C’est pourquoi je ne l’ai jamais quitté.

Vos premiers pas de chef exécutif coïncident avec le premier confinement, un arrêt brusque. C’est frustrant, pour un hyperactif ?

Ça fait bizarre, en effet, mais paradoxalement, ça m’a donné le temps de réfléchir, de me poser. Et avec le chef Ducasse, on a fait aussi beaucoup de choses pour les soignants, on a donné des cours aux femmes isolées, aux handicapés… Et côté cuisine, cela m’a permis de partir d’une feuille blanche. On a établi des relations avec les producteurs en souffrance. Un cuisinier et les maisons comme la nôtre ont un rôle vis à vis d’eux. J’en étais conscient mais il fallait aller plus loin. On a lancé la vente à emporter, les paniers pour soutenir les producteurs. Et on a poussé encore plus loin le sourcing, on a enrichi le réseau, approfondi les relations humaines. A la réouverture ça a été un vrai boum. Les producteurs, eux, ne savaient pas quand ça allait redémarrer, ils n’avaient pas anticipé, semé, planté… J’ai pris le problème à l’envers avec une cuisine de saisonnalité. De fait, c’est la nature qui dit ce qu’on doit faire pas l’inverse. A trop la forcer on perd la valeur du goût. Donc les producteurs m’envoient ce qu’ils sont en pleine maturité. Cela demande plus d’organisation mais c’est bien meilleur. On travaille avec des sourceurs, Grégoire et Isabelle, qui cherchent dans toute la France, toute l’année. On se fournit ainsi auprès du dernier vinaigrier d’Orléans, une ville qui fut la capitale du vinaigre à l’époque ou le vin remontait du sud et qu’ils transformaient. J’ai rencontré la boucherie Gauthier à Clermont-Ferrand, la capitale historique du veau… Je suis très attaché au patrimoine français et on se doit, nous les jeunes chefs, de le garder vivant. Dans nos établissements on a la chance de toucher aux plus belles choses, de disposer des plus beaux produits. C’est vrai que ça a un coût et si on dit souvent que le restaurant gastronomique d’un palace n’est pas rentable, il faut aussi dire que c’est la vitrine de l’hôtel.

Comment définissez-vous votre cuisine ? Pour quelle expérience gustative ?

C’est une cuisine française qui, je vous l’ai dit, met en avant les producteurs. Mais quand je dis cuisine française, on a une approche contemporaine. On lui apporte de la fraîcheur. Comme Stark l’a fait dans la salle. Concrètement, c’est une cuisine assez poussée sur les goûts et je ne suis pas un obsédé du design. Ma cuisine n’est pas millimétrée, elle est plutôt brute visuellement et reste axée sur les produits, ceux que vous voyez indiqués sur la carte. C’est une cuisine incisive avec des marqueurs très prononcés : amer, acide, fumé, épicé, iodé… Quand on travaille l’endive on n’ajoute pas du sucre pour en arrondir l’amertume mais au contraire on pousse celle-ci en utilisant la racine, encore plus amère. Ceux qui aiment l’amer iront volontiers vers ça, les autres on leur conseillera autre chose… C’est pourquoi le client établit son menu à son goût. On a décidé que je ne faisais pas un menu mais que chaque client choisissait 5 ou 7 plats parmi 4 entrées, 3 poissons, 3 viandes et 4 desserts.

Le conseil en salle est donc primordial ?

Oui. La salle est le prolongement de ma main. Elle doit jauger l’attente du client, le mettre à l’aise, qu’il se sente comme chez lui. Elle doit accompagner, orienter, expliquer. Sur la carte les intitulés sont simples, avec juste trois marqueurs pour un plat, par exemple homard, capucine et main de Bouddha. La salle n’est pas là pour déclamer un poème mais pour être un vrai guide dans la création d’une belle expérience pour le client.

Il reste des choses à inventer en cuisine ?

D’un côté je dirais que tout a déjà été fait ! Mais on peut partir de la cuisine traditionnelle et la mettre au goût du jour, comme d’autres l’on fait en leur temps, tels Bocuse et ses amis. (…) Lire la suite sur Les Echos

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