Par Jean-Paul C. DRH à la retraite mais toujours passionné !
« Le secteur de l’hôtellerie-restauration, déjà en grande difficulté pour recruter, fait face à une crise de plus en plus marquée, malgré l’ajout récent de certains de ses métiers à la liste des « métiers en tension » en France. Cette situation, qui s’est intensifiée après la crise sanitaire de la Covid-19, soulève la question de l’adéquation entre les conditions de travail dans ce secteur et les besoins de main-d’œuvre, tout comme l’efficacité des politiques de formation.
Un secteur qui peine à attirer
Depuis plusieurs années, l’hôtellerie-restauration rencontre des difficultés croissantes pour attirer de nouveaux talents. Malgré des hausses salariales, le secteur reste confronté à des conditions de travail précaires : horaires morcelés (coupures), travail le week-end (sans majoration dans 99% des cas), et un turnover élevé. Ces réalités sont souvent un frein pour les travailleurs, notamment pour les jeunes générations (lire encadré ci-après) qui aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En conséquence, le nombre de travailleurs qui quittent rapidement le secteur après une première expérience est élevé, créant ainsi une instabilité importante dans les équipes.
« La génération Z, aussi appelée « gen Z » ou « digital natives » représente les jeunes nés entre 1995 et 2012, pendant la révolution numérique. Ce sont les enfants de la génération X, les frères et sœurs de la génération Y. Plus vous donnerez à ces jeunes collaborateurs de la visibilité sur les projets et ambitions de votre organisation et les moyens de s’impliquer à leur niveau, plus ils seront satisfaits et prêts à s’engager durablement. En outre, ils souhaitent travailler au sein d’une entreprise inclusive et responsable, qui favorise la diversité au travail et mène des actions en faveur du développement durable. Ces valeurs sont déterminantes pour eux, et seuls 19 %6 des collaborateurs de la Génération Z se disent prêts à travailler pour une organisation qui ne les partage pas. Enfin, pour recruter et fidéliser les talents de cette génération, vous avez tout intérêt à proposer des conditions et modes de travail flexibles et personnalisés : expérience collaborateur, possibilité d’alterner entre travail à distance et travail en présentiel, disposer de bureaux innovants… » Source France Travail
Adrien Pégourdie, maître de conférences en sociologie à l’Université de Limoges, souligne dans un entretien accordé à France Culture que « ‘(le CHR) … est un secteur qui ne s’est pas réformé depuis un très grand nombre d’années. Un tiers de la main-d’œuvre se renouvelait chaque année dans la restauration. » Avec des conditions qui n’évoluent pas, la pénurie de main-d’œuvre s’aggrave, et les employeurs peinent à attirer et retenir du personnel qualifié.
La liste des métiers en tension, une fausse solution ?
L’une des solutions proposées par le gouvernement pour lutter contre cette pénurie est l’inclusion des métiers de serveurs, d’aides-cuisiniers et de cuisiniers sur la liste des métiers en tension. Cette décision pourrait permettre de faciliter l’embauche de travailleurs étrangers, en particulier pour ceux sans papiers. Cependant, cette inclusion est perçue par certains comme une décision politique plus que comme une véritable réponse aux problèmes structurels du secteur. Les syndicats, notamment ceux représentés par Thierry Marx, président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH), ont plaidé pour une régularisation des travailleurs sans papiers afin de pallier cette pénurie. Toutefois, cette mesure, bien qu’envisagée, n’a pas encore conduit à une réforme réelle des conditions de travail. De plus, certains avancent l’idée que la régularisation ou l’arrivée de travailleurs étrangers ne font que niveler par le bas les conditions de travail, salaires compris !
Formation et attentes déçues
Un autre facteur aggravant cette crise réside dans l’inadéquation des formations proposées dans le secteur. De nombreuses formations en hôtellerie-restauration sont axées sur des cursus tournés vers le luxe et la haute gastronomie, créant des attentes souvent irréalistes. Ces parcours ne préparent pas suffisamment les étudiants aux réalités du terrain, où les conditions sont loin d’être aussi idéalisées. Cela mène à une désillusion chez les jeunes diplômés, qui abandonnent rapidement leur projet professionnel dans ce domaine.
Toujours dans l’entretien accordé à France Culture, le sociologue Adrien Pégourdie rapporte ainsi une expérience vécue : « Parmi les 20 élèves de bac pro que j’ai suivis, quatre ans après, seuls trois sont toujours dans l’hôtellerie-restauration. »
Un chiffre qui illustre, selon le sociologue, l’une des principales failles du système : la formation n’est pas en phase avec les exigences du marché. Selon les statistiques, moins de 40% des bacheliers professionnels travaillant dans l’hôtellerie-restauration exercent dans le domaine pour lequel ils ont été formés, ce qui soulève la question de l’adéquation entre les formations et les réalités du marché de l’emploi.
Vers une évolution nécessaire du secteur
La pénurie de main-d’œuvre dans l’hôtellerie-restauration met en lumière l’urgence d’une révision en profondeur des conditions de travail dans ce secteur. Une évolution des formations, un meilleur alignement entre les attentes des jeunes travailleurs et les réalités du terrain, ainsi que des réformes des horaires et des conditions de travail sont essentiels pour répondre à la demande croissante de personnel. Le secteur doit également repenser ses pratiques pour attirer et fidéliser une main-d’œuvre plus large et plus diversifiée. Faute de cela, la crise de recrutement pourrait perdurer, handicapant un secteur clé de l’économie française.
Les solutions passeraient donc par une modernisation complète du modèle de travail dans l’hôtellerie-restauration, tout en réévaluant la manière dont les formations sont dispensées et en veillant à ce que les métiers soient mieux valorisés et alignés avec les réalités du marché.