Déjà votée par l’Assemblée nationale, la proposition de loi du député MoDem Romain Daubié (Ain) sera désormais soumise à une commission mixte paritaire, où sénateurs et députés tenteront d’aboutir à un texte de compromis.
Sur le rapport de Mme Martine Berthet, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté, le 15 mai 2024, la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements.
Ce texte, issu d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale, vise à accélérer la mobilisation des bureaux vacants en vue de la création de logements, en adaptant les règles d’urbanisme et de copropriété pertinentes, et en prévoyant un régime fiscal adapté pour ces opérations. Afin de favoriser les projets de construction réversibles, il crée également un permis de construire à destinations multiples. Il comporte également des dispositions en faveur de la réalisation de résidences étudiantes.
Les quatre articles relatifs à la fiscalité (articles 2, 3, 3 bis A et 3 bis B) ont été délégués au fond à la commission des finances.
L’ESSENTIEL SUR PROPOSITION DE LOI VISANT À FACILITER LA TRANSFORMATION DES BUREAUX EN LOGEMENTS Source Sénat
I. LA MOBILISATION DES BUREAUX VACANTS EN LOGEMENTS, UNE NÉCESSITÉ DANS UN CONTEXTE DE PÉNURIE DE FONCIER ET DE CRISE DU LOGEMENT
A. LES BUREAUX INUTILISÉS, UN IMPORTANT GISEMENT POUR LA CRÉATION DE LOGEMENTS
Alors que la France est frappée par une crise du logement quasiment sans précédent1(*), et que les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols fixés par la loi « Climat et résilience » limitent les possibilités de constructions nouvelles, les bureaux vacants constituent un important gisement pour la réalisation de logements : rien qu’en Île-de-France, ils représenteraient environ 4,4 millions de mètres carrés, en hausse d’un million de mètres carrés par rapport à 2019, dont un quart serait en état de vacance structurelle.
Cette augmentation structurelle du nombre de mètres carrés de bureaux disponibles découle :
– du développement du télétravail à la suite de la crise sanitaire, dont l’impact sur l’immobilier de bureaux n’a pas encore atteint sa totalité, en raison des délais de renouvellement des baux professionnels ;
– du ralentissement de la croissance des emplois de bureaux depuis une quinzaine d’années, sans que le rythme des créations de surfaces de bureaux ait ralenti dans les mêmes proportions ;
– de la réduction de la surface moyenne de bureau par personne, induite par le développement des open spaces et autres espaces collaboratifs.
Les nouvelles obligations environnementales fixées par le « décret tertiaire » pourraient en outre amener certains propriétaires de bureaux, dans un avenir proche, à se séparer de ces actifs qui nécessiteront de coûteux investissements de mise aux normes.
B. LA TRANSFORMATION DE BUREAUX EN LOGEMENTS SE HEURTE À DES OBSTACLES TECHNIQUES, ÉCONOMIQUES ET RÉGLEMENTAIRES
Malgré des besoins en logements importants, la production de logements par transformation de locaux d’activités reste stable depuis 10 ans, à environ 2 000 logements par an. Au total, moins de 2 % des bureaux vacants en Île-de-France seraient reconvertis chaque année.
Les différents outils réglementaires et fiscaux mis en place ces dernières années pour favoriser ces opérations (exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties pendant cinq ans, bonus de constructibilité par rapport aux règles fixées dans les documents d’urbanisme…) n’ont pas significativement accéléré la dynamique.
Plusieurs obstacles continuent de limiter les possibilités de transformation de bureaux en logements :
– un obstacle financier : les surfaces de bureaux vacantes demeureraient survalorisées dans les bilans des sociétés propriétaires ;
– la configuration initiale des bâtiments de bureaux (profondeur, hauteur sous plafond, ouvertures extérieures) peut rendre techniquement difficile la reconversion ;
– le coût des travaux de reconversion est généralement plus élevé que celui de la construction neuve, en raison de la combinaison du coût d’acquisition des locaux, du coût des travaux à proprement parler (y compris les opérations de désamiantage, fréquentes, et d’adaptation aux normes de sécurité incendie propres aux bâtiments d’habitation), et du coût induit par les pertes de surfaces commercialisables (création de balcons et d’espaces communs).
En conséquence, les opérations de transformation de bureaux en logements ne seraient rentables que dans des zones où le prix de vente du mètre carré dépasse les 5 000 à 6 000 euros, à savoir uniquement en région parisienne, et certaines métropoles régionales :
– les règles fixées par les documents d’urbanisme peuvent s’opposer à la production de locaux d’habitation dans certaines zones réservées, par exemple, aux activités économiques.
Enfin, le régime fiscal applicable à ce type d’opérations n’est guère incitatif pour les élus, qui impliquent souvent des besoins en équipements publics supplémentaires (écoles, crèches…), pour des recettes fiscales généralement inférieures à celles procurées par les locaux d’activité.
II. LA PROPOSITION DE LOI : FAVORISER LA MOBILISATION DES BUREAUX VACANTS POUR CRÉER DES LOGEMENTS
A. LEVER LES OBSTACLES RÉGLEMENTAIRES À LA TRANSFORMATION DES BUREAUX EN LOGEMENTS
L’article 1er de la proposition de loi permet aux autorités compétentes en matière d’urbanisme de déroger au cas par cas aux règles fixées par les documents d’urbanisme en matière de destination des bâtiments, pour des opérations de transformation d’immeubles de bureaux ou d’administrations publiques en logements.
Les articles 6 et 7 modifient les règles de majorité dans les copropriétés, pour favoriser la transformation de locaux affectés à une activité tertiaire en habitations.
En outre, afin de faciliter l’adaptation par les communes de l’environnement des bâtiments reconvertis aux besoins des nouveaux habitants, l’article 3 bis ouvre la possibilité pour ces dernières de recourir aux projets urbains partenariaux, qui permettent de faire participer les porteurs de projets aux coûts des équipements publics nécessités par ces opérations.
B. CRÉER UN PERMIS DE CONSTRUIRE À DESTINATIONS MULTIPLES POUR FAVORISER L’ANTICIPATION DES RECONVERSIONS
L’article 4 crée un permis de construire à destinations multiples, sans plafonnement du nombre de destinations possibles ni ordre de succession prédéfini entre ces dernières. Les règles d’urbanisme applicables durant toute la durée du projet seraient celles en vigueur au moment de la délivrance du permis.
C. DES MESURES COMPLÉMENTAIRES POUR LE LOGEMENT ÉTUDIANT
Le texte facilite également la réalisation de logements étudiants en ouvrant aux Crous la possibilité de recourir aux marchés de conception-réalisation (article 5) et permettant de prévoir dans les PLU une majoration du volume constructible pour les résidences étudiantes gérées par les Crous (article 5 bis).
III. LES APPORTS DE LA COMMISSION : RENDRE LE DISPOSITIF PLUS OPÉRATIONNEL, TOUT EN SÉCURISANT LES COLLECTIVITÉS SUR LEUR MAÎTRISE DE LEURS PROJETS D’AMÉNAGEMENT
A. ÉLARGIR LE CHAMP DES OPÉRATIONS DE TRANSFORMATION FACILITÉES PAR LA PROPOSITION DE LOI
Les bureaux ne sont pas les seuls locaux susceptibles d’être transformés en habitations : les hôtels, bâtiments d’enseignement, mais aussi les garages, se prêtent particulièrement bien à ce type de transformations. En outre, les zones commerciales d’entrée de ville, qui font actuellement l’objet de vastes plans de reconversions, constituent des gisements de foncier et de locaux dont la mobilisation pourrait permettre la création de plusieurs centaines de milliers de nouveaux logements.
La commission a donc étendu le champ d’application du texte aux opérations de transformation de tout bâtiment de destination autre qu’habitation en bâtiment à destination principale d’habitation (art. 1er et 3 bis), et modifié en conséquence le titre de la proposition de loi. Les nouvelles règles de majorité dans les copropriétés pour autoriser les changements d’usage pourront concerner également les locaux commerciaux, en plus des bureaux et locaux professionnels (art. 6).
B. ACCÉLÉRER LES PROCÉDURES ET AMÉLIORER L’ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE DES TRANSFORMATIONS DE BÂTIMENTS EXISTANTS EN HABITATIONS
Afin de lever les freins économiques à la mise en oeuvre de transformations de bâtiments existants en habitations – hors dispositions fiscales -, la commission a étendu la possibilité de déroger aux règles de destination du plan local d’urbanisme aux extensions et surélévations induites par des projets de transformation de bâtiments existants en habitations. Les maires pourront également permettre à ces projets de déroger aux règles relatives aux surfaces minimales des logements figurant dans les PLU.
Elle a conservé la possibilité de mettre en oeuvre des projets urbains partenariaux à l’occasion de telles opérations (art. 3 bis).
Afin d’accélérer les procédures, des délais de transmission entre les différentes autorités dont l’avis est requis pour accorder la dérogation aux zonages du PLU ont été introduits à l’article 1er, et la procédure d’octroi du permis à destinations multiples a été précisée : la commune donnera un avis préalable sur le principe de l’octroi, dans certaines zones, de ce permis, mais ne délibérera plus sur chaque demande de permis (article 4).
La durée de validité de ce permis a été étendue à 10 ans, renouvelable deux fois pour une durée de 5 ans.
À l’article 5 bis, la possibilité de bénéficier d’une majoration de volume constructible a été étendue à l’ensemble des résidences étudiantes, et aux opérations de transformation (et plus seulement de constructions nouvelles).
C. CONSERVER UN DROIT DE REGARD DES COLLECTIVITÉS SUR L’AMÉNAGEMENT DE LEUR TERRITOIRE
La commission a souhaité sécuriser les procédures, pour s’assurer que les collectivités puissent s’opposer à tout projet contraire à leurs choix d’aménagement.
Ainsi, à l’article 1er, l’avis de la commune sur les dérogations au zonage du PLU a été conservé, même lorsqu’elle ne dispose plus d’aucune compétence en matière d’urbanisme ; l’avis conforme des commissions compétentes pour se prononcer sur les changements de destination dans les zones agricoles, naturelles et forestières restera requis pour y accorder une telle dérogation.
À l’article 4, l’avis conforme de la commune sera requis pour la mise en place de zones dans lesquelles le permis à destinations multiples pourra être octroyé. Le maire pourra en outre exiger que soit précisée la première destination de la construction projetée, afin d’évaluer les implications à court terme du projet sur les équipements publics et, plus largement, l’aménagement du territoire. Les éventuelles prorogations, au bout de dix ans, devront tenir compte des règles d’urbanisme applicables au moment de la prorogation, ce qui permettra de vérifier que le projet est toujours compatible avec les orientations d’aménagement du territoire. Les règles d’urbanisme relatives à la sécurité et à la salubrité publique seront en outre applicables de plein droit aux changements de destinations ultérieures autorisées par le permis à destinations multiples.