À l’heure où les slogans inclusifs comme « Venez comme vous êtes » fleurissent dans tous les secteurs, un paradoxe s’impose. Derrière les discours d’ouverture et le social branding, nombreux sont les employeurs de notre secteur à pointer l’évolution des comportements : candidats zappeurs, collaborateurs individualistes, exigences déconnectées du terrain.
« Il rêve sa vie au lieu de se donner les moyens de vivre ses rêves », entend-on souvent à propos de ces jeunes professionnels nourris de reels, de stories et d’une gloire alimentée par des concours sacralisant l’individu.
Mais loin de rejeter ces mutations, notre secteur, agile par nature, sait les transformer en opportunités commerciales. Dernier exemple en date : la montée en puissance des établissements no kids ou de leur version adoucie, adults only. Autrefois marginale, cette tendance est aujourd’hui un levier marketing redoutable.
L’entre-soi adulte, une bonne affaire !
À travers le monde, croisières, hôtels, restaurants et transports adoptent de plus en plus l’offre adults only. Des chaînes comme TUI ou Thomas Cook comptent déjà plusieurs centaines d’établissements réservés aux adultes. Virgin Voyages, fleuron de la croisière haut de gamme, interdit quant à elle les moins de 18 ans à bord.
La promesse ? Des séjours calmes, sans cris, sans éclaboussures à la piscine, sans contraintes parentales.
Ces établissements ciblent principalement des couples sans enfants, des retraités ou des voyageurs d’affaires — tous en quête de tranquillité. Et ce public est prêt à payer cher pour l’obtenir.
Mieux encore pour les professionnels : ce modèle est économiquement optimisé. Pas besoin d’équipements pour enfants, de menus spécifiques, d’animations ou de personnel spécialisé. Moins de contraintes, plus de marges.
L’offre no kids combine ainsi tarifs élevés, investissements réduits et frais de fonctionnement allégés. Le rêve, en apparence. Mais peut-on, au nom du confort, exclure une population jugée simplement… dérangeante ?
Une exclusion qui dérange
Ce modèle cache une dynamique sociale troublante : celle d’une société où les enfants, pourtant porteurs d’avenir, sont progressivement invisibilisés.
La pédopsychiatre Laelia Benoit parle d’infantisme, discrimination envers les enfants considérés comme bruyants, gênants, voire indésirables.
Des chercheurs alertent : cette logique d’exclusion est une bombe à retardement. En apprenant très tôt qu’ils ne sont pas les bienvenus, les enfants intériorisent des rapports de domination qui nourrissent sexisme, racisme ou validisme.
Un débat politique en marche
Face à cette tendance, les institutions réagissent. Le 27 mai dernier, la Haute-commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, réunissait les principaux acteurs du tourisme et des transports autour d’une table ronde.
Déjà en mai dans Le Figaro, elle dénonçait :
« On ne peut pas dire qu’on soutient les familles tout en distillant l’idée que les enfants sont une nuisance. »
La sénatrice Laurence Rossignol a même déposé une proposition de loi pour faire reconnaître comme discriminatoire l’exclusion des mineurs de lieux publics sans motif de sécurité valable, avec à terme l’interdiction des lieux « no kids »…
Sérénité légitime ou société adulte-centrée ?
Dire aujourd’hui « je n’aime pas les enfants » ne choque plus. Pire : cette position devient parfois une posture écologique vertueuse ; ainsi entend-on régulièrement des affirmations du type « Je ne veux pas faire d’enfant dans un monde pareil. »
Pour certains, cette vision traduit surtout une radicalisation de l’individualisme. Le sociologue Michel Fize résume dans son ouvrage « L’individualisme économique » cette tendance.
« Nous sommes au siècle de l’individu roi, qui fait ce qu’il veut, quand il veut, avec qui il veut… et sans ceux qui l’ennuient. » Michel Fize
Vers un tourisme plus inclusif ?
Respecter les droits de l’enfant, comme le rappelle la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), n’est pas seulement un impératif moral : c’est l’assurance d’un monde plus juste.
L’hôtellerie no kids répond certes à une demande, mais elle ne doit pas devenir une norme. Sinon, les enfants risquent de devenir des citoyens de seconde zone.
Le défi est posé : comment concilier confort et vivre-ensemble intergénérationnel ?
C’est peut-être là que se dessine l’avenir d’un tourisme vraiment durable bien loin du social branding bien-pensant !