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Journal d’un hôtelier confiné

Par Bruno Mercadal, Directeur Général Royal Riviera

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Il est 9h15 ce matin et j’arrive au bureau. Un jeudi d’avril comme un autre. Enfin presque. Le brouhaha des vies qui se croisent. L’impatience des clients devant une journée qui s’annonce déjà belle, l’engagement des salariés pour la réaliser. C’est un métier difficile que de rendre les autres heureux, inlassablement. Cent fois sur le bonheur, remettez votre ouvrage.

Un jeudi d’avril comme un autre. Mais le virus est passé par là. Ni bruit de couverts, ni de journal qu’on froisse au rythme des pages de nouvelles égrainées de l’autre bout du monde, ni de rires qui transpercent le hall baigné du soleil du matin. Shining. Jack Nicholson n’a qu’à bien se tenir, ce virus tue des milliers de fois plus que tous les couteaux d’Hollywood.
Tu peux fermer les yeux, refuser d’y croire. Penser a tout ceux que tu connais, tous ces clients habitués qui sont devenus tes amis, disséminés au quatre coins du globe, confinés eux aussi dans un quotidien devenu -presque- silencieux. Le monde est petit partout quand se perd la liberté.
Et puis la réalité te rattrape, brutale, pragmatique, balayant dans la douleur d’un quotidien qui fait peur, les certitudes d’hier. Je lève les yeux. A travers la grande baie du lobby, c’est le printemps qui crie sa peine de ne voir personne emprunter les grandes allées du jardin en fleurs.
Hier. Tellement de beaux moments, de fêtes bruyantes, de souvenirs partagés, de bouteilles de rosé aussi. Le rosé, sablier des étés.
Mais hier , c’était hier, alors je prends le chemin du bureau. S’occuper du présent, préparer l’avenir parce que l’avenir finit toujours par redevenir un présent qu’on vit. Inévitablement.
Régler les formalités, protéger les salariés, parce qu’en ces moments où tout semble s’effacer dans les sables du doute, c’est à eux que tu penses en premier. A eux, à leurs peurs que tu veux rassurer, à leurs familles qu’ils doivent nourrir.

Et puis l’avenir. Il faut bien l’imaginer aussi, le préparer. Redémarrer la machine, dans un monde que les médias, les réseaux sociaux, nous promettent différent. L’athée que je suis prie pour que Dieu les entende.
Différent ? Forcément par contrainte, parce que voyager ne sera plus, dans un premier temps, aussi facile que cela ne fut. Parce que nos clients seront différents, par leur nationalité, par leurs craintes aussi face à une situation sanitaire inédite.
Et puis la science fera le reste, je fais confiance aux hommes, à leur abnégation à résoudre les maux, pour que la vie, bon an mal an, redevienne comme avant. Je me souviens de cette phrase, en pleine élection présidentielle, du truculent Jean Lassalle : « je veux vivre une épopée joyeuse ». L’histoire de nos vies s’écrivait donc ainsi, à coups de rêves et d’espoirs pas toujours exprimés.

Il y a des moments d’une vie où les émotions se mêlent à une réalité tragique pour ne plus faire qu’une énergie. Occulter les effets de la crise, du virus et de sa comptabilité morbide, reconstruire la vie d’un palace, chargée à la fois de passion, de partage et de pragmatisme économique. Ton imagination fera le reste et on débouchera, ensemble, les bouteilles de rosé.
Comme hier. Comme demain aussi, je te le promets.
Le téléphone sonne.
Magali, réceptionniste orpheline de ses clients et de ses collègues, passe la tête à la porte du bureau. Elle ne tousse pas, n’a pas de fièvre. Tout va bien.
-Monsieur, c’était une réservation pour le mois d’août !

Nous échangeons nos sourires, dans une distanciation de circonstance.
C’est sans doute cela la résilience.
Il est 9h30 ce jeudi matin, je me mets enfin au travail.

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