Développement | Œnotourisme, la France à l’heure de la maturité (et de la méthode)
L’œnotourisme, longtemps considéré comme une niche patrimoniale et festive, s’impose désormais comme un levier stratégique du tourisme durable en France. Portée par une fréquentation en hausse, une structuration accrue de l’offre et une reconnaissance politique affirmée, la filière entre dans une nouvelle ère, celle de la professionnalisation. Nous avons, à ce propos, rencontré Yannick Langlade qui nous parle de sa dernière création entrepreneuriale, Bacchus Hospitality
Un cap franchi : 12 millions d’œnotouristes en 2023
Selon la dernière étude menée par Deloitte pour Atout France, l’œnotourisme en France a attiré 12 millions de visiteurs en 2023, dont 45 % d’internationaux. Cette croissance repose sur une double dynamique : d’un côté, une appétence croissante des clientèles étrangères (Britanniques, Américains, Belges) pour le vin et la gastronomie ; de l’autre, une structuration rigoureuse de l’offre.
Avec 75 destinations labellisées Vignobles & Découvertes (+12 % depuis 2016), 8 704 prestations identifiées (+117 %), des équipements emblématiques comme la Cité du Vin à Bordeaux ou les Cités des Climats en Bourgogne, la France affirme une ambition claire : devenir la référence mondiale en matière d’œnotourisme durable.
Une reconnaissance politique : Nathalie Delattre en Côte-d’Or
Le 25 mai dernier, la ministre du Tourisme Nathalie Delattre a effectué un déplacement officiel en Côte de Nuits, véritable vitrine du tourisme viticole français. « L’œnotourisme est une véritable économie » (Source Infos Dijon), a-t-elle répété devant des acteurs de terrain.
Sa visite intervient alors que la feuille de route stratégique du tourisme national est en cours de finalisation. Trois axes sont d’ores et déjà posés : environnement, inclusion, innovation. L’œnotourisme coche toutes les cases et s’impose comme une filière modèle de diversification et d’ancrage territorial.
La ministre a également pointé la nécessité d’accroître la lisibilité du label Vignobles & Découvertes, en appelant au développement d’une application mobile et d’itinéraires thématisés, au service d’une clientèle en quête d’expériences culturelles et multi-sensorielles.
Une économie en devenir, encore à modéliser
C’est l’un des enseignements clés de l’étude économique Atout France : l’œnotourisme ne se mesure pas seulement au chiffre d’affaires. Si la dépense moyenne par prestation reste modeste (19 €), et si la gratuité demeure encore fréquente (78 % des établissements interrogés), la valeur immatérielle de l’activité est largement plébiscitée par les professionnels : image, différenciation, fidélisation, notoriété.
« Faire les choses gratuitement ou à perte en espérant vendre plus, c’est illusoire. Mais bien fait, l’œnotourisme contrôle l’image et génère un attachement durable. »
Les exploitations les plus grandes misent d’ailleurs sur des offres sophistiquées, intégrées à une stratégie marketing globale : hébergements, restauration, ateliers immersifs, événements culturels. La saisonnalité (mai à octobre), bien maîtrisée, ouvre la voie à une désaisonnalisation bienvenue pour les territoires ruraux.
Yannick Langlade @ credit linkedin
🎙️ Entretien avec Yannick Langlade, co-fondateur de Bacchus Hospitality
« Revenir à l’essence du métier d’ambassadeur : valoriser un territoire, une culture, une histoire »
Avant de fonder Bacchus Hospitality, Yannick Langlade a dirigé de grands projets touristiques en France et à l’international. Formé en droit international et européen à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, son goût pour la diplomatie culturelle et les relations humaines l’a très tôt orienté vers les métiers de l’hospitalité. Après des années à piloter des resorts pour Pierre & Vacances, Oasis Premium Resorts ou M2Leisure en Asie, il revient aujourd’hui à ses “premières amours” avec Bacchus Hospitality, un projet qui conjugue terroir, sens et storytelling.
LTH : Votre concept Bacchus Hospitality propose une approche de l’œnotourisme bien différente de la simple visite de cave. Quelle est votre vision de l’œnotourisme nouvelle génération ?
Yannick Langlade : L’œnotourisme ne peut plus se résumer à un parcours de visite et une dégustation. Ce que nous construisons avec Bacchus Hospitality, c’est un tourisme d’émotion et de mémoire. Nous voulons proposer une immersion complète, où chaque client – qu’il soit amateur de vin ou non – se reconnecte à un territoire. Hébergement atypique, restauration locale, culture, nature, vélo dans les vignes, moments de partage : tout est pensé pour que l’expérience devienne un souvenir structurant. Finalement, c’est un retour à ma vocation première : celle d’un ambassadeur au sens noble du terme, qui met en lien des mondes différents autour de la culture.
LTH : Votre modèle repose sur la diversité des clientèles (loisir, affaires, familles). En quoi cette segmentation est-elle essentielle à la viabilité d’un projet œnotouristique aujourd’hui ?
Yannick Langlade : Nous avons très tôt identifié qu’un projet œnotouristique ne peut être rentable s’il dépend d’un seul type de clientèle. C’est pourquoi nous avons structuré notre plan autour de trois segments – loisirs, affaires, famille – chacun avec ses besoins, ses temporalités et ses canaux de réservation. À cela s’ajoute une approche marketing différenciée et une grande diversité d’hébergements. Cette complémentarité crée une résilience économique. Et surtout, elle permet d’ouvrir nos lieux à des publics qui ne se croiseraient pas habituellement dans un domaine viticole.
LTH : L’étude d’Atout France met en avant les attentes fortes en matière de mobilité douce, de storytelling et d’expérience locale. Comment Bacchus Hospitality y répond-il concrètement ?
Yannick Langlade : Tout notre concept repose sur l’ancrage territorial. Nous avons choisi une zone sous-exploitée au nord de Bergerac, mais dotée d’un fort pouvoir d’achat local et d’un besoin criant d’offres qualitatives, notamment en restauration. À cela, nous ajoutons une programmation expérientielle autour du vin, bien sûr, mais aussi de la gastronomie, de l’artisanat, de l’environnement. Nous développons une communauté Bacchus fidèle, connectée, curieuse. Enfin, notre storytelling est au cœur de la proposition : chaque lieu Bacchus raconte une histoire, chaque séjour est un chapitre. C’est la clef de la fidélisation, notamment auprès d’une clientèle CSP+ en quête d’authenticité.
Diversification des offres : de plus en plus de domaines (petits et grands) proposent des prestations payantes, scénarisées, voire couplées (œno-resorts, escape games, balades en vélo, ateliers thématiques…).
Professionnalisation croissante : 83 % des exploitations disposent désormais de jours et horaires d’ouverture précis, et 87 % tiennent à jour un fichier clients.
Commercialisation multi-canal : bien que la vente directe reste reine, les plateformes de réservation, les partenariats institutionnels et les outils numériques montent en puissance.
Innovation responsable : demandes accrues de mobilité douce, écoconception, inclusion des publics éloignés du tourisme.
Une vision pour demain : tourisme durable, local et compétitif
La ministre l’a souligné à Chambolle-Musigny : « Nous ne devons plus nous contenter d’être la première destination mondiale. L’Espagne et l’Italie nous talonnent. Il faut faire évoluer l’offre, l’adapter, la digitaliser, la rendre plus accessible et plus lisible. » Source Infos Dijon
Dans ce contexte, l’œnotourisme apparaît comme un laboratoire du tourisme du futur :
local, immersif, ancré dans des savoir-faire ;
durable, grâce à une gestion maîtrisée des flux et des ressources ;
inclusif, en ciblant toutes les clientèles et en réintégrant les habitants dans l’expérience.