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Reconversion | Martin Goïc : « Aux étoiles, je préfère la Terre ! »

La Tribune de l’Hôtellerie s’intéresse cette semaine au parcours d’un jeune hôtelier promis à une carrière internationale de premier plan. Tout juste sorti diplômé de Sup de Co La Rochelle, son Bachelor en Mangement du Tourisme et de l’hôtellerie en poche, Martin fut recruté pour intégrer le programme « Management trainee » du prestigieux Groupe Peninsula Hotels & Resorts. Après ses débuts parisiens, il se retrouve transféré à Hong Kong, berceau de la compagnie. Assistant Chef de Réception à Hong Kong à 24 ans, la carrière de Martin semblait toute tracée. Et pourtant, une succession d’événements va changer cette destinée. Quête de sens, responsabilité sociétale ? À travers son témoignage, tentons de comprendre ce phénomène quasi générationnel : le travail doit faire sens, l’accomplissement doit s’accompagner de l’épanouissement et le process de production doit participer au développement sociétal.

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L’Hôtellerie, du rêve à la réalité

« Il y’a presque deux ans j’ai définitivement quitté le monde de l’hôtellerie restauration. Ce monde l’hôtellerie, Je l’ai d’abord connu avec des étoiles « plein les yeux » dans l’industrie du Luxe puis, avec une petite barbe de trois jours, je suis passé à une hôtellerie « version start up nation ». 

Ces six années d’expériences m’ont beaucoup appris : rigueur, professionnalisme, process, travail en équipe, gestion de crises, etc. Mais, plus important encore, j’y ai fait des rencontres formidables avec des personnalités venant de tous horizons.

Mais alors, comment me suis-je retrouvé à faire pousser des légumes en Bretagne me direz-vous ?
Au travers de cet article, je vais tenter d’apporter une réponse à ce changement de cap que beaucoup d’amis et « d’amis d’amis » ont connu ces deux dernières années !

Au bout de quatre ans dans l’hôtellerie, un mot me revenait constamment à l’esprit : pourquoi ? Ce mot débutait toutes les phrases qui me passaient par la tête.

Au bout de quatre ans dans l’hôtellerie, un mot me revenait constamment à l’esprit : pourquoi ? Ce mot débutait toutes les phrases qui me passaient par la tête.

Cela a commencé avec le client que tout jeune hôtelier redoute. Vous savez ce fameux client qui souhaite un surclassement gratuit et ce, sans contrepartie, tout simplement parce qu’il est lui !

L’hôtel étant complet, je lui avais répondu avec gentillesse et amabilité qu’il m’était impossible d’accéder à sa demande : c’est alors qu’il me lança « Tu vois la fin de ce couloir dans lequel nous marchons ? Si à la fin du couloir, tu n’as pas changé d’avis, je mettrai un commentaire terrible à ton sujet sur TripAdvisor ! »

Pourquoi ce client d’un hôtel de Luxe adoptait un tel comportement auprès d’un jeune hôtelier salarié ? Pourquoi cette volonté d’humilier un professionnel et honnête dans son approche ? 

On m’avait pourtant préparé :  ces hommes ne s’acharnaient pas sur Martin Goïc mais sur le Manager en poste à la réception, l’institution qu’il représentait.  Entre le discours et la réalité, le choc peut être brutal. Cette humiliation, je l’ai ressentie.

On m’avait pourtant préparé :  ces hommes ne s’acharnaient pas sur Martin Goïc mais sur le Manager en poste à la réception, l’institution qu’il représentait.  Entre le discours et la réalité, le choc peut être brutal. Cette humiliation, je l’ai ressentie.

Ce ressenti tout à fait personnel (tout est affaire de personnalité et sensibilité !) faisait écho au « Pourquoi » qui trottait depuis un certain temps dans ma tête.

Puis, un beau jour, j’ai pu poser des mots sur ce questionnement qui relevait, jusqu’alors, plus du ressenti que d’éléments factuels.

Se recentrer sur l’essentiel, fuir le non-sens !

Dans ma vie privée, j’aime la nature, me nourrir avec des produits sains et évoluer avec des personnes curieuses sur le monde qui les entoure. Dans l’hôtellerie, je me levais pour préparer une équipe à composer avec des clients parfois hystériques, parfois étranges, quelquefois exécrables mais, fort heureusement, le plus souvent adorables.   

Normés au niveau international, les groupes hôteliers proposent souvent une offre restauration qui va à l’encontre du bons sens environnemental : ainsi, nous servions en Asie du saumon fumé pêché en Norvège, emballé en Pologne, expédié depuis la France jusqu(à Hong Kong pour qu’une partie finisse à la poubelle, non consommée par le client et non valorisée en déchetterie. 

Ces incohérences ne sont pas le fait d’un groupe hôtelier en particulier : c’est une réalité qui semble imposée par les habitudes d’une grande partie de la clientèle qui, au gré de ses voyages, ne veut en rien changer ses habitudes alimentaires ! Le Club Sandwich saumon vous attend que vous soyez à Dubai, Sidney, Shangai, New York, Londres ou Paris.

Si des plateaux entiers « Room Service » furent jetés par moi-même au compresseur (voir au mieux au composteur !), en mars 2022, à l’autre bout du Monde, dans le même établissement, il y a de fortes chances pour qu’un autre « Martin » reproduise le même geste malheureux (écologiquement parlant)  ! 

Au quotidien, mon intérêt viscéral pour la chose environnementale était plus que heurté par cette consommation à contresens ! 

Je n’ai jamais rechigné à la tâche (je travaille actuellement plus de 15 heures pour « élever » mes produits !) mais le temps étant compté, il doit être bien utilisé.

De surcroît, l’hôtellerie « chronophage » qu’on avait pu me décrire lors de mes études et stages était une réalité souvent ubuesque. Je n’ai jamais rechigné à la tâche (je travaille actuellement plus de 15 heures pour « élever » mes produits !) mais le temps étant compté, il doit être bien utilisé.

Je travaillais énormément. Cependant, travailler avec des Managers de grande qualité relativise la notion de temps, le plaisir étant là ; par chance,  j’en ai connu de très, très bons ! 

À contrario, travailler avec de mauvais Managers (vous savez ceux dénués de charisme, qui soulignent toujours vos erreurs, n’acceptent aucune critique, n’attendent et n’entendent aucun feedback, organisent réunions sur réunions et n’évoquent jamais vos réussites !) fait de votre fin de journée, un objectif ! 

J’étais blasé  par ces réunions « à rallonge » sans objectifs et sans effets, qui ne mènent à rien, avec un N+1 sans cesse au téléphone. Dégoûté par les  « rivalités »  de service, par la lâcheté des « renvoyeurs de balles » ou pis encore, par les Ambitieux prêts à tout (i.e. leurs collaborateurs devenant parfois des éléments sacrificiels sur l’Autel de la promotion) !

 
Alors pourquoi continuer ? « It is only a job » !

 La conscience du « bien manger » pour « bien vivre » je l’avais

La conscience du « bien manger » pour « bien vivre » je l’avais. Mais ce qui allait me faire franchir le pas, le courage d’aller de l’avant  fut le décès d’une proche. Attablé au Restaurant du personnel en tête à tête avec une assiette dont le contenu m’inspirait tout sauf l’envie de manger, en mon for intérieur, plusieurs questions (brutales et directes) se sont imposées : que mangeons-nous pour être si malade ? Est-ce normal de faire voyager de la nourriture d’un bout à l’autre de la planète ?

Ainsi, le « Pourquoi » du début était  devenu le « Pourquoi pas ? » :  Pourquoi pas s’intéresser à l’agriculture ? Pourquoi pas créer une ferme ? Pourquoi pas devenir maraîcher  et ainsi lier ma passion pour l’alimentation saine, mon envie de faire plaisir aux autres, le tout dans une démarche éco-responsable ?

 

@ credit Martin Goic

On ne naît pas agriculteur on le devient

 
J’avais donc trouvé une réponse à mes questions au travers de la nourriture que nous consommons. Quel métier plus noble à mes yeux que celui permettant de produire des légumes sains, savoureux et bons pour l’environnement ?

L’étoile au fond de mes yeux commençait à briller ! Néanmoins, une question me taraudait : Comment devient-on agriculteur ? Était-ce fait pour moi, urbain néophyte du monde rural ?

Confronté à de telles questions essentielles quant à la réalisation de mon projet, il me fallait questionner « l’Oracle du 21ème siècle » : internet.

Surfant sur la toile, tâtonnant et hésitant, naviguant de questions en questions, d’imprécisions en  précisions, le spectre se fit plus précis.  

À force de visionnages de tutoriels aussi divers que riches d’enseignement, j’ai appréhendé l’agriculture biologique, l’agroforesterie, l’élevage, la permaculture au beau milieu de Hong Kong, face à mon écran installé sous la fenêtre de mon studio de Kowloon.  

Bien évidemment, le visionnage « Youtubesque »  fut complété par une somme de lectures, toutes plus passionnantes les unes que les autres !  

Les mains dans la Terre

Une fois que l’on s’est renseigné sur un métier aussi concret que celui d’agriculteur, il ne me restait plus qu’une seule chose à faire : mettre les mains dans la terre, voir, toucher, sentir, connaître et reconnaître.

Cette réalité du retour à la terre était impossible à tenter à Hong Kong: il me fallait revenir en France !

Le retour à Paris me permit dans un premier temps de peaufiner mon projet. Parallèlement, je trouvai un travail formidable au sein de l’univers « Start-Up Nation » : rythme de travail raisonnable, épanouissement personnel auraient pu me détourner de mon projet mais « le cœur à ses raisons que la raison ignore ».  

Profitant de la possibilité qu’il m’était donné par mon employeur de disposer de temps de formation et de création, à force de recherches, d’appels et d’emails, je découvris un soir de février celle qui allait être ma bonne étoile : Murielle, agricultrice en BIO dans le Val-de-Marne en reconversion et installée depuis peu. 

Murielle, ma bonne étoile !

Grâce à elle, l’agriculture biologique est devenu concrète, tangible, palpable, visible. Je commençais à comprendre le métier dans sa globalité, de la graine à l’euro gagné ! Pendant un an, je me suis rendu deux jours par semaine sur cette exploitation pour apprendre les bases. J’étais devenu « addict  au compost ». Qu’il pleuve, qu’il grêle, qu’il vente ou qu’il fasse beau, je répondais toujours présent, les pieds au sec ou dans la boue, couvert de poussières ou « crotté » : je voulais tout voir, tout tester jusqu’à souffrir physiquement tant les tâches étaient parfois dures.

Aujourd’hui, installé en Bretagne, région familiale, je ne le vis pas comme certains, comme un retour aux sources ! Je le vis, en toute humilité, comme une envie de vivre mon temps, de produire utile, d’avoir un Métier qui a du sens !

Les jours sont longs, les travaux difficiles mais en fin de journée, le bonheur peut se lire sur les yeux de tous ceux qui se sont lancés dans cette aventure ! 

Ce n’est pas la recette du bonheur mais simplement une tentative de se ré-approprier le Sens de sa vie.

Désormais, nombre d’amis en quête de reconversion me questionnent quant à mon/mes choix.

Comment savoir si ce retour à la terre est la bonne décision ? Comment savoir si on en est capable ? Je ne peux leur apporter qu’un seul conseil : la première chose à faire, c’est l’essai par la pratique, l’immersion, cela doit être votre obsession sur la route d’une reconversion.

Et reconversion rime toujours avec… Passion » 

 

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