« Nous avons signé des contrats sur vingt ou vingt-cinq ans, c’est pourquoi nous allons tous les dimanches à l’église allumer un cierge en espérant pouvoir travailler normalement pendant les dix prochaines années. » Sans doute quelques cierges ont-ils manqué à Alexis Delaroff, directeur du groupe Accor en Russie, qui tenait ces propos en 2015 à Tioumen, en Sibérie occidentale. Il pensait avoir tout connu, crises politiques, économiques, militaires, et certifiait que seule une guerre pourrait pousser l’hôtelier français à quitter le pays.
L’invasion de l’Ukraine et l’ostracisation de l’économie russe mettent un coup de frein brutal aux ambitions locales d’Accor : son portefeuille de 56 hôtels aujourd’hui devait s’enrichir de 32 établissements supplémentaires d’ici à 2025, ce qui en aurait fait la première chaîne hôtelière de Russie. Ce marché, loin d’être mature, représente à peine 1 % de ses chambres dans le monde, mais Accor l’identifie comme un levier de croissance, entre faible pénétration des chaînes et développement d’une classe moyenne aisée. En se répandant sur le territoire, le groupe rend aussi ses nombreuses marques plus visibles auprès des voyageurs russes, de plus en plus nombreux.
Ces dernières années, la chaîne française multipliait les projets en association avec des magnats locaux de l’immobilier et, dans le cas de trois hôtels, avec des sociétés faisant désormais l’objet de sanctions internationales. Trois sociétés avec lesquelles Accor a suspendu sa collaboration, précise la chaîne au Monde. Un Fairmont à Moscou qui devait ouvrir en fin d’année, un Mövenpick moscovite ouvert en 2020 et un autre en projet dans le Kamtchatka ne pourront pas, en l’état, afficher cette enseigne. L’une des sociétés, la banque Sberbank, copropriétaire du Fairmont, a informé Accor de l’arrêt définitif du partenariat.
Réactions tardives
Les chaînes hôtelières occidentales se gardent bien, pour l’heure, de tirer un trait sur trente ans d’une lente implantation sur le territoire russe. Il a fallu deux semaines après l’invasion russe pour qu’Accor annonce la suspension des ouvertures prévues et de ses projets de développement en Russie. Il a rapidement été imité par Marriott, Hilton, IHG et Hyatt – qui maintient une ouverture d’hôtel à Rostov, le 1er mai –, dont chaque communiqué semble avoir été copié sur le voisin. Radisson a été plus hésitant, ne communiquant que le 18 mars.
Les hôtels existants restent en service. Les ouvertures sont, pour l’heure, simplement reportées, et Accor conserve son bureau et sa soixantaine de salariés à Moscou. Un entre-deux qui révolte Mariana Oleskiv, directrice de l’Agence pour le développement touristique de l’Ukraine. Par courrier, à deux reprises, les 14 et 18 mars, elle a exhorté les chaînes à quitter la Russie. (…) Lire la suite sur Le Monde (réservé abonnés)