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Edito | Luxe & Hôtellerie : pourquoi LVMH reste (presque) seul ?

Dans un marché du luxe bousculé par la montée des marques culturelles asiatiques, la volatilité des clientèles et la fragilisation des historiques européens, un paradoxe persiste : la quasi-totalité des grands groupes mondiaux évite soigneusement l’hôtellerie de luxe. Un seul acteur s’y aventure – et s’y déploie avec une constance presque insolente : LVMH. La question revient donc, insistante, provocatrice, presque taboue : 👉 Pourquoi LVMH est-il seul à investir sérieusement dans l’hospitality alors que les autres mastodontes du luxe n’y voient, semble-t-il, aucun avenir ?

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Paris, le 24 novembre 2025 — L’annonce de House of Dreams, , a de quoi surprendre. Sous l’impulsion de Luca de Meo, le groupe multiplie les pistes stratégiques : marques émergentes, beauté, plateformes culturelles, innovations matérielles… Mais un secteur brille par son absence : l’hôtellerie. Aucun mot, aucune allusion, pas même un signal lointain. Ce silence n’est pas un hasard. Il reflète , au sein de l’industrie du luxe.

Un classement sans appel : l’hôtellerie, parent pauvre du luxe

D’après CompaniesMarketCap (novembre 2025), les dix premiers groupes mondiaux du luxe affichent des valorisations stratosphériques :

Top 10 des groupes de luxe (novembre 2025)
Rang Groupe Pays Valorisation (Md$)
1 LVMH France 502,3
2 Hermès France 362,5
3 EssilorLuxottica France 231,7
4 Richemont Suisse 171,0
5 Dior SE France 170,4
6 Kering France 59,4
7 Titan Company Inde 54,3
8 Chow Tai Fook Hong-Kong 27,0
9 Moncler Italie 24,9
10 Prada Italie 20,7

Parmi ces géants, un seul a fait de l’hôtellerie un pilier stratégique : LVMH, avec ses enseignes Cheval Blanc, Belmond et bientôt le Louis Vuitton Hôtel. Les autres ? Rien. Ou presque. Quelques licences décoratives (Armani Hotels), des clubs éphémères… mais aucune vision intégrée. Le luxe mondial ne croit pas à l’hôtellerie.

LVMH n’est pas un modèle : c’est une exception.

Le tabou des marges : l’hôtellerie, secteur maudit du luxe

La raison de ce désamour ? Les marges. Personne ne l’avoue, mais elles expliquent tout. Dans la maroquinerie, elles dépassent 40 %. Un sac Hermès ou Louis Vuitton, vendu 8 à 12 fois son coût de production, finance des stratégies mondiales. Dans la joaillerie, elles atteignent 30 à 35 %. Une bague Cartier ou Chow Tai Fook n’a pas besoin d’un milliard d’actifs immobiliers pour générer du profit. Dans l’horlogerie, les marges explosent grâce à la valeur immatérielle.

Et dans l’hôtellerie ?

  • Entre 10 et 20 % d’EBITDA dans le meilleur des cas.
  • Souvent moins de 5 % après rénovation, inflation salariale et coûts d’exploitation.

C’est le secteur le moins rentable de toute l’industrie du luxe.

Et aussi le plus risqué, le plus cyclique, le plus capitalistique.

Pour Hermès, Richemont ou Chanel, la question ne se pose même pas : pourquoi immobiliser des milliards dans des hôtels quand un produit en cuir, un flacon de parfum ou une montre génère 5 à 10 fois plus de profit, sans les contraintes opérationnelles ?

Deux ADN incompatibles

L’hôtellerie exige :

  • Une gestion des ressources humaines lourde (dans un contexte d’inflation de la masse salariale conséquence d’un marché du travail pénurique), de la saisonnalité et un fonctionnement 24/7.
  • Une interdépendance au tourisme mondial, aux équilibres géopolitiques.
  • Des coûts énergétiques et immobiliers colossaux.
  • Une exposition permanente à la conjoncture.
  • Un savoir-faire opérationnel aux antipodes de la culture du produit.

L’hôtellerie est un métier de flux. Le luxe traditionnel est un métier de stock. Les deux univers ne s’épousent pas naturellement.

LVMH, l’hérétique qui défie les règles

Pourquoi LVMH réussit-il là où les autres ne s’aventurent même pas ? Parce que la verticalité de son écosystème rend l’hôtellerie intégrable voire incontournable :

  • Vins & spiritueux.
  • Gastronomie.
  • Domaines viticoles.
  • Haute couture.
  • Beauté.
  • Distribution sélective.

L’hôtellerie n’est pas une diversification : c’est la synthèse naturelle de cet univers.

Surtout, LVMH est le seul du Top 10 à disposer d’une puissance financière capable d’absorber les coûts pharaoniques de l’hôtellerie sans menacer son bilan.

Pour les autres — Kering, Richemont, EssilorLuxottica — le risque est trop lourd, le retour sur investissement trop lent, les marges trop faibles.

Hermès, l’absent qui intrigue

Deuxième groupe mondial du luxe, Hermès est admiré pour sa discipline et sa cohérence. La maison ne fait que ce qu’elle maîtrise à 100 %. Or, l’hôtellerie, par nature, ne peut jamais être maîtrisée à 100 %. Entre météo, flux aérien, risques alimentaires ou un problème technique impactant l’actif (dégât des eaux, mur humide, climatisation…), trop de variables échappent au contrôle. Hermès préfère un univers de maîtrise absolue.

Kering : House of Dreams, mais pas House of Hospitality

Luca de Meo repositionne Kering autour des technologies immersives, des cultures émergentes, de l’artisanat local, de la beauté et de l’innovation matérielle. L’hôtellerie ? Aucune mention. Pourquoi ? Parce qu’elle est :

  • Trop lente.
  • Trop capitalistique.
  • Trop risquée.
  • Trop peu rentable.
  • Trop éloignée du cœur créatif de Kering.

En clair : l’hôtellerie est un luxe dont Kering ne peut — ni ne veut — se payer le rêve.

Les indépendants du luxe : des expériences sans lendemain

 (avant son absorption par LVMH Beauté)… Tous ont tenté l’aventure hôtelière. Aucun n’a construit une plateforme scalable, durable et intégrée. Preuve que sans vision long terme et sans marges suffisantes, l’hôtellerie n’est pas un levier naturel pour le luxe.

LVMH, seul en piste… pour combien de temps ?

LVMH peut se permettre l’hôtellerie. Les autres groupes ont choisi des combats plus rentables, plus modernes, plus scalables :

  • Tech & expérience digitale.
  • Beauté émergente.
  • Cultures locales.
  • Innovation.
  • Verticalisation.

Mais jusqu’à quand ? Dans un monde où les générations Z et Alpha veulent vivre le luxe plus que le posséder, où l’expérience prime sur l’objet, et où l’hospitalité incarne le stade ultime du storytelling, la question devient brûlante : combien de temps les géants du luxe pourront-ils ignorer le plus puissant des vecteurs expérientiels ?

LVMH a pris position. Les autres observent encore. Mais la tectonique du luxe pourrait bien les forcer, tôt ou tard, à entrer dans l’arène.

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