Perspective | Luxe en surchauffe : comment le mythe de la démocratisation a trahi son essence
En "ouvrant massivement les portes du luxe" aux consommateurs dits "aspirationnels", les marques ont cru assurer une croissance durable. Mais en 2025, la stratégie semble se retourner contre elles. Analyse d’un retournement de cycle prévisible à la lumière d’un article signé Pamela Danziger.
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✨ Le luxe a-t-il vendu son âme au volume ?
Pendant quinze ans, le secteur du luxe a flirté avec la croissance à tout prix. En élargissant sa base client à une classe « aspirationnelle » — ces consommateurs qui rêvent de luxe sans en avoir pleinement les moyens —, les marques ont multiplié les ventes, au risque d’éroder leur socle historique : l’exclusivité.
Pamela Danziger @ credit linkedin
C’est la thèse développée par Pamela Danziger, experte américaine du comportement des consommateurs aisés, dans un remarquable article publié en juillet 2025. Son constat est sans appel : le luxe a confondu accessibilité et banalisation. Et aujourd’hui, l’addition est salée.
📉 L’aspirationnel vacille, le cœur du marché tremble
La croissance qui avait atteint 431 milliards $ en 2023 commence à se contracter. En 2024, le marché a reculé à 423 milliards $ et pourrait chuter de 5 % en 2025, selon Bain.
Comment définir le client du luxe aspirationnel ?
Le client du luxe aspirationnel désigne une cible particulière du marché du luxe : celle qui ne fait pas encore pleinement partie de la clientèle traditionnelle du luxe (Ultra High Net Worth Individuals ou High Net Worth Individuals), mais qui aspire à y accéder. Cette clientèle constitue une large base de consommateurs, souvent plus jeunes, qui investissent ponctuellement dans des produits ou expériences de luxe afin de se rapprocher de cet univers. C’est l’exemple du client qui rêve d’un palace mais commence par un boutique-hôtel 4* premium.
Principales caractéristiques
Revenus intermédiaires à supérieurs à la moyenne, mais sans être milliardaires : cadres, entrepreneurs, professions libérales.
Comportement d’achat ciblé : achats moins fréquents, mais très réfléchis, souvent pour des moments-clés (voyage de noces, anniversaire, promotion…).
Forte dimension symbolique et sociale : le luxe devient vecteur d’identité, de réussite ou d’appartenance à une communauté.
Recherche d’expérience et d’émotion : la qualité du service, la personnalisation et l’histoire de la marque sont primordiales.
Digital natifs ou très connectés : ils consultent, comparent et achètent en ligne, influencés par les réseaux sociaux et les recommandations.
Enjeux pour les marques de luxe
Fidéliser sans banaliser : proposer des produits accessibles sans dévaloriser la marque aux yeux de la clientèle traditionnelle.
Offrir une première expérience de luxe : packaging, storytelling, customer care sont déterminants.
Travailler l’ascension dans l’offre : inciter progressivement à monter en gamme (ex. : de l’hôtellerie lifestyle à l’hôtellerie ultra-luxe).
Pourquoi ? Parce que 35 % des clients aspirationnels ont coupé dans leurs dépenses luxe, au profit de l’épargne, du bien-être ou du luxe de seconde main. Pire encore, 50 % d’entre eux se disent financièrement vulnérables.
Les marques les plus exposées — LVMH (Louis Vuitton), Kering (Gucci, YSL) — voient leurs ventes chuter : jusqu’à -14 % pour certaines maisons.
🧨 Une fracture croissante entre luxe de masse et ultra-luxe
Selon le BCG, le marché devient bipolaire : d’un côté, les marques qui persistent à viser les masses ; de l’autre, celles qui restent fidèles aux fondamentaux du luxe — qualité, exclusivité, relation client personnalisée.
Les gagnants ?
Brunello Cucinelli : +12 %
Prada : +13 %
Hermès : +9 %
Richemont : +8 %
Des marques qui misent sur les clients « top-tier », ceux qui dépensent plus de 5 000 € par an. Ces derniers représentent 40 % du chiffre d’affaires, et les ultra-premium (50 000 €+) à eux seuls 23 % du marché.
🔎 Ce que les marques de luxe font mal (et que leurs clients ne leur pardonnent plus)
Le rapport BCG/Altagamma identifie 4 erreurs fatales dans la gestion de ces clients les plus précieux :
Trop de marketing, pas assez d’humain 60 % des clients luxe se sentent saturés de messages impersonnels. Ce qu’ils veulent ? Des échanges personnalisés, basés sur leur style de vie, leurs préférences, leur historique.
Des boutiques surpeuplées, standardisées 80 % des clients premium fuient les espaces trop bruyants, impersonnels. Leur attente : un cocon confidentiel, calme et raffiné, où la relation humaine prime.
Une qualité produit en recul 89 % estiment que la qualité n’est plus au rendez-vous. La course au volume a mis à mal l’excellence artisanale, cœur du contrat luxe.
Un manque de reconnaissance 70 % des clients top-tier disent ne pas être identifiés comme tels. La faute à des CRM mal paramétrés et des stratégies de fidélisation uniformisées.
🧭 Revenir au cœur du luxe : précision, intimité, excellence
Pour Pamela Danziger et Filippo Bianchi, le salut passe par un retour aux fondamentaux :
Moins de masse, plus de précision
Moins de push marketing, plus de personnalisation humaine
Moins de points de vente bruyants, plus d’expériences exclusives
Moins de volume, plus de qualité véritable
« Le luxe de demain se construira non pas par l’échelle, mais par l’intimité. » — Filippo Bianchi, BCG