Deux jours par semaine, Christian Hébert, 35 ans, sert des sacs remplis de denrées alimentaires à des personnes dans le besoin, au Centre de loisirs Notre-Dame-de-Foy. Diplômé en tourisme et travail social, il a trouvé ce petit travail pour rester actif.
Il était réceptionniste dans un hôtel du quartier Saint-Roch, à Québec, mais son employeur n’a plus que deux jours de travail à lui offrir. Et ce n’est pas très motivant en ce moment. L’hôtellerie, j’aime beaucoup, mais quand il y a des clients. Quand il n’y a pas beaucoup de gens, ça ne passe pas vite.
Financièrement, c’est difficile aussi. Il doit se limiter, acheter moins de luxe
, faire un budget, même s’il n’est pas bon là-dedans. De temps en temps, lui aussi a recours à l’aide alimentaire.
Je ne vous mentirai pas, j’en prends quand même [de l’aide alimentaire]. Comme je suis salarié, je vais passer après, avec les surplus qu’on a.
Dans la grande région de Québec, sur les 6500 personnes que compte le domaine de l’hôtellerie, 4000 ont perdu leur emploi à cause de la pandémie.
Écoutez le reportage de Myriam Fimbry dans l’émission Désautels le dimanche, diffusée à compter de 10 h sur les ondes d’ICI Première.
Certaines ont pu bénéficier des aides gouvernementales, comme la Prestation canadienne d’urgence et maintenant le nouveau programme d’assurance-emploi, mais cela ne suffit pas pour joindre les deux bouts.
Certains d’entre eux cherchent un nouvel emploi ou se reconvertissent déjà vers d’autres métiers.
Des postes difficiles à combler
Michel Côté est propriétaire avec son fils de l’hôtel Clarendon, qui compte 144 chambres. L’établissement a fermé temporairement depuis que la région est entrée en zone rouge. Il embauchait 38 personnes, il en a conservé 11, les autres sont au chômage. L’équipe, c’est ce qui va être le plus difficile à remplacer
, dit-il.
Les gens qui vont aller travailler ailleurs, on ne les reverra pas. Je peux comprendre, on n’est pas capables de leur dire quand est-ce qu’on reprend.
Lors de la petite reprise touristique de l’été, il a été très difficile par exemple de retrouver des préposés à l’entretien ménager.
On en a qui sont allés dans le domaine de la santé
, dit Charles Collerette, directeur d’hébergement pour trois hôtels du Vieux-Québec. Puis d’autres qui ont juste disparu de la carte. Ce sont les emplois qui ont été les plus difficiles à combler.
À l’hôtel Champlain, rue Sainte-Anne, où il travaille provisoirement comme réceptionniste, le téléphone sonne une fois par demi-journée. Il répond aussitôt avec empressement et enthousiasme. Mais c’est généralement pour annuler ou reporter des réservations. Il n’y a pas de demande pour les semaines ou les mois à venir.
En ce moment, le taux d’occupation de la plupart des hôtels de Québec plafonne en dessous de 5 %. L’annulation de toutes les croisières cette année a privé la ville de 240 000 visiteurs.
Toutefois, grâce à la subvention salariale, la propriétaire Michelle Doré, 72 ans, a décidé de maintenir les emplois du tiers de son personnel habituel. Ses hommes d’entretien réparent tout ce qu’il est possible de réparer dans les chambres.
Mais celle qui lui faisait des rideaux et des stores depuis 15 ans a décidé de réorienter sa carrière. Et vous allez rire…
dit Michelle Doré. Elle s’en va travailler pour un syndic de faillite.
La femme d’affaires de 72 ans s’inquiète surtout pour la relève dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration.
Comment voulez-vous qu’un jeune qui choisit en ce moment sa vocation, son métier pour plus tard, aille en tourisme? On va être pénalisés pour les années à venir.
Chargé du recrutement de personnel, Charles Collerette trouvait déjà la tâche ardue, en pleine pénurie de main-d’œuvre, ces dernières années. L’été prochain, ou quand il y aura une vraie reprise, il faudra recruter, mais est-ce qu’il va y avoir encore des gens pour travailler dans le domaine? Moi, je pense que ce ne sera pas évident.
Selon lui, les étudiants qui travaillaient dans l’hôtellerie à temps partiel ne le feront plus. Ils vont prioriser d’autres types d’emplois, parce que ce n’est pas très motivant de travailler en ce moment dans des hôtels qui sont vides.
Lui-même âgé de 25 ans et diplômé en études internationales et langues modernes, combien de temps est-il prêt à s’accrocher? Je ne sais pas. Il faut trouver ses sources de bonheur, peu importe… peu importe ce qu’on fait. Donc j’essaye de trouver les miennes en ce moment malgré tout.
On est en train de délaisser notre main-d’œuvre parce qu’on n’est pas capable de la faire travailler. C’est notre historique, c’est notre expertise. On a travaillé très fort pour bâtir une expérience client dont on parle tant, et là, on est malheureusement obligés de la laisser aller.
Des efforts pour garder le contact
Les restaurateurs aussi craignent pour leur main-d’œuvre future, après avoir remercié des centaines d’employés.
Ça me fait mal au cœur, on est attachés à eux, on les connaît tous par leur petit nom
, dit le président-directeur général du groupe Restos plaisirs, à la tête de 13 restaurants à Québec, dont le Cochon dingue, le Lapin sauté, le Café du monde, Jaja et le Ciel, restaurant tournant en haut du Concorde.
Notre ressource la plus importante, c’est nos employés. J’ai beau avoir un beau restaurant, un beau menu, un beau décor, c’est l’employé qui vous reçoit, c’est son sourire, c’est sa bonne humeur, c’est sa façon de vous accueillir.
Pour maintenir le contact, Pierre Moreau fait des vidéos toutes les 2 ou 3 semaines qu’il diffuse sur une chaîne YouTube privée, pour leur donner un peu de nouvelles, sur les probabilités qu’on rouvre. On essaie de les rassurer.
Il a demandé à tous ses chefs de restaurants de parler à leur personnel au moins une fois par semaine. Mais beaucoup d’employés sont en train de regarder des changements de carrière, c’est inévitable
, dit la directrice du restaurant Jaja, Sarah Belleville.
Chez les autocaristes
Les véhicules nolisés des Autobus Laval sont sagement alignés côte à côte dans leur cour à Beauport, en banlieue de Québec.
La subvention salariale ne lui a pas permis de garder ses conducteurs. Ça me coûterait trop cher. On a zéro revenu et des coûts exponentiels.
Chaque autobus demande beaucoup d’entretien, surtout quand il ne roule plus sur les routes. Au moment de les remettre en service, il faudra probablement changer les freins, une dépense de 5000 à 10 000 dollars par véhicule.
On parle des pertes financières, mais il y a une perte humaine qui est très importante dans notre secteur
, déplore Louise Giroux.
Nos conducteurs, ce sont des gens habitués à la clientèle internationale, les Québécois, les casinos, le Tournoi international de hockey Pee-Wee. Ils ont de l’expérience, de l’expertise! On est en train de les perdre. Là actuellement, j’en ai qui se sont replacés ailleurs. Vont-ils revenir quand la pandémie va être terminée? Je ne sais pas.
Le directeur général des Tours du Vieux Québec, Michael Ouellet, continue à employer la main-d’œuvre spécialisée, très difficile à remplacer, comme les répartiteurs et les mécaniciens. On va les garder coûte que coûte.
Au garage, Stevens Hayes, 56 ans, entretient chaque autobus l’un après l’autre. Est-il inquiet pour son emploi?
Un peu, c’est sûr, on est toujours un peu inquiet de ce qui va se passer à l’avenir. Mais là, que voulez-vous? À un moment donné, ça va redécoller. Je ne peux jamais croire qu’on va être mal pris de même pendant encore cinq ans! Au pire-aller, on va avoir encore un an de misère, mais ce n’est pas moi le pire, c’est mon employeur. C’est l’employeur qui mange la claque, c’est sûr.
Stevens Hayes sait que s’il perd son emploi, la demande est forte pour les mécaniciens d’expérience. D’après moi, demain matin, je me retrouverais une job encore assez vite! Je ne pense pas que je resterais sur la PCU ben ben longtemps.