En cette matinée pluvieuse d’octobre à Disneyland Paris, il n’y a pas que le soleil qui n’est pas de la partie. Les visiteurs aussi semblent avoir déserté les deux parcs d’attractions de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), qui peinent à faire le plein depuis leur réouverture le 15 juillet avec des mesures sanitaires strictes. Les parcs ouvrent dans à peine trente minutes, mais ils ne sont que quelques-uns à se presser devant les grilles.
La machine Disney, elle, fonctionne comme si de rien n’était : les parcs sont ouverts, les attractions fonctionnent, et les « Cast Members » – les salariés – ont toujours le sourire. Mais en coulisses, l’ambiance est loin d’être à la fête. La direction a adopté des mesures drastiques pour s’adapter et réduire au minimum ses coûts d’exploitation. Certains restaurants et boutiques sont fermés, une partie des 16 000 employés est au chômage partiel et les horaires d’ouverture ont été réduits. Dans les parcs, certains sanitaires ont même été fermés. Avec pareille crise, il n’y a pas de petites économies.
Recettes fiscales en chute libre
Dans les attractions (même les plus populaires), le temps d’attente dépasse rarement les cinq minutes. Le rêve pour les visiteurs, un cauchemar pour Disney… et tout un pan de l’économie du pays. En effet, la première destination touristique d’Europe – 15 millions de visiteurs annuels environ – pèse lourd : en 2017, elle représentait à elle seule 6,2 % des recettes touristiques françaises.
25 millions d’euros de recettes.
Les communes de Val d’Europe, sur lesquelles Disneyland Paris est installé, paient le plus lourd tribut. « Soixante-quinze pour cent de nos recettes fiscales sont liées au tourisme », souligne Philippe Descrouet, président de l’agglomération, maire de Serris et président d’EpaFrance, l’établissement public chargé d’aménager le territoire. « Avec le Covid-19, on estime qu’on va perdre 25 millions d’euros de recettes sur 18 mois. » La faute à la taxe de séjour qui ne rentre plus dans les caisses – la plupart des hôtels Disney fermés, c’est quasiment la moitié de l’offre hôtelière de Val d’Europe en moins –, mais aussi à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), calculée à partir du chiffre d’affaires des entreprises.
« Disneyland Paris, c’est 40 000 visiteurs par jour en moyenne, rappelle Philippe Descrouet. Là, ils sont plutôt à 6 000, au mieux 20 000 sur des belles journées. » La jauge maximale de 25 000 visiteurs par jour instaurée depuis la réouverture pour permettre la distanciation physique dans les parcs n’aurait même jamais été atteinte de l’été, selon Le Parisien. La faute aux fermetures de frontières qui empêchent la clientèle étrangère dont la destination est très dépendante – un visiteur sur deux – de se rendre dans les parcs. « Économiquement, c’est une catastrophe pour le territoire. Quand Disneyland est à l’arrêt, c’est tout le tissu économique qui est à l’arrêt. »
Pénurie de logements
Dans un effet domino, les autres entreprises implantées à Val d’Europe souffrent elles aussi de l’absence des flux de touristes générés par les parcs d’attractions. Philippe Descrouet constate que « les gens ne viennent pas à Disneyland, mais ne viennent pas non plus à côté, aux Villages Nature [un Center Parc installé au sud du complexe, NDLR] ou dans le centre commercial ». La Vallée village, qui regroupe des boutiques outlet de marques de luxe à côté du gigantesque centre commercial, a perdu 65 % de son chiffre d’affaires depuis sa réouverture en mai. Les quelques touristes revenus, majoritairement des Français, ne sont pas ceux qui dépensent le plus.
Les logements sont vendus avant même d’avoir posé le panneau de commercialisation !
Seule consolation, le territoire sur lequel les nouveaux immeubles poussent comme des champignons est plus attractif que jamais. « Avec le Covid, la demande immobilière est extrêmement forte, se réjouit Philippe Descrouet. Les logements sont vendus avant même d’avoir posé le panneau de commercialisation ! » Une dynamique rattrapée par l’effondrement des recettes fiscales. Car qui dit nouveaux habitants dit écoles, gymnases et autres équipements publics à construire. « On a encore 130 millions d’euros à financer sur la phase IV de la convention entre Disney, les collectivités et l’État. Il faut que l’argent rentre. »
Faire le dos rond
Tous les yeux sont donc rivés sur la locomotive Disneyland, qui semble anticiper une crise durable. Les visiteurs sont revenus moins nombreux qu’espéré, et la réouverture progressive des hôtels, qui devaient tous reprendre leur activité d’ici à septembre, a été stoppée. L’un des trois seuls hôtels rouverts, le Cheyenne, a de nouveau fermé ses portes fin septembre, et certains ne rouvriront finalement pas avant mai.
Les touristes n’attendent que ça de revenir.
Faut-il s’inquiéter pour les 60 000 emplois directs et indirects générés par les deux parcs d’attractions ? « La situation n’a rien à voir avec les États-Unis », où Disney a annoncé supprimer 28 000 emplois, tempère Philippe Descrouet. La présidente de Disneyland Paris lui a assuré qu’aucun licenciement n’était prévu en France. Mais une nouvelle fermeture des parcs si la situation sanitaire venait à s’aggraver pourrait être fatale. « Des mesures sanitaires strictes validées par l’État ont été mises en place, il n’y a pas vraiment de risque de fermeture. »
L’agglomération de Val d’Europe souhaite tout de même travailler à accueillir des entreprises de secteurs différents, pour réduire un peu sa dépendance au tourisme. Mais Philippe Descrouet est plutôt confiant sur l’avenir. « Pour juin-juillet, ils ont plus de réservations que l’an passé, signe que les touristes n’attendent que ça de pouvoir revenir. » Disneyland Paris continue de son côté les gigantesques travaux d’extension du parc Walt Disney Studios, qui font partie d’un plan d’investissement de deux milliards d’euros annoncé en 2018.
Comme Disney, le Val d’Europe va devoir faire le dos rond en attendant que la situation ne revienne à la normale, en espérant que cela arrive rapidement pour ne pas y laisser trop de plumes. « On pense qu’il faut tenir encore cinq ou six mois, le temps qu’un vaccin soit trouvé, prédit Philippe Descrouet. On a une agglomération en excellente situation financière, mais c’est sûr qu’on aura perdu une partie de notre tissu économique. »