C’est au Bar du Raphaël que je l’attends. Voilà 10 ans l’on s‘était perdu de vue. À l’époque, Yves revenait du Maroc, plus exactement du Taj Palace Marrakech qu’il avait dirigé pendant 2 ans. Il avait passé 20 années à sillonner le Globe, à superviser les plus beaux hôtels, passant allègrement de l’anglais à l’allemand, s’initiant au Mandarin ou à l’arabe. Il arrive : si les cheveux blonds blanchissent un peu, l’œil est toujours pétillant et l’allure toujours aussi « smart » ! La joie de retrouver Yves, sa verve et surtout son humour pince sans rire. Après les premiers échanges, je suis rassuré : contrairement à certains amis, de « copains d’hôtel », il n’a pas changé !
Élégance classique et esprit moderne, bienveillance (même si ce terme est souvent galvaudé mais je l’assume totalement pour Yves) et gentillesse. Yves Wencker c’est tout cela.
Itinéraire d’un enfant d’Alsace
Je savais que l’Alsace était terre d’hôteliers et de restaurateurs mais « Yves c’est quelqu’un de spécial, il a la grâce » comme en témoigne un de ses nombreux amis hôteliers.
La grâce et l’envie d’ailleurs, de découvrir le Monde. Car à la fin des années 1970, ce fils d’employé de la SNCF, petit-fils de boulanger et arrière-petit-fils de boucher n’a qu’une envie : découvrir le Monde, les autres.
Son plan est déjà échafaudé : soit il devient Stewart soit il entre à l’école hôtelière.
Il intègre finalement l’école hôtelière d’Illkirch (comme avant lui Pierre Ferchaud, Pierre Jochem, Michel Novatin ou encore, ses copains de lycée, Frédéric Picard, Arnaud Bamvens, Louis Starck, Christophe Thomas), son envie de voyage va vite devenir une réalité.
Sportif, pratiquant depuis plusieurs années le roller artistique, le bac en poche et sa première année de BTS commencée à Illkirch, il demande à voir, à la fin de son premier trimestre, le proviseur de l’époque, Monsieur Bernard. 20 minutes d’entretien suffiront : il ressortira de son bureau avec une dizaine de tee-shirts de l’école et un lot de stickers, tee-shirts qu’il arborera tout au long de son expédition australienne de…4800 Kms entre janvier et avril 1988. Cet épisode résume à lui seul ce qui guidera Yves tout au long de sa carrière : une pincée d’aventure, une poignée d’envie, un grain de folie le tout saupoudré d’énergie et de motivation !
L’aventure hôtelière une aventure humaine, des rencontres…
Comme convenu avec Monsieur Bernard, il poursuivra en septembre 1988 sa formation et obtiendra en 1991 son BTS. Échangeant les roulettes contre le costume de Maître d’hôtel puis d’Hotel Manager, il va sillonner toutes les mers du Globe pendant 6 années, de l’arctique à l’antarctique pour Hanseatic Cruises & Seabourn Luxury Cruises.
Au gouvernail, le célèbre capitaine Heinz Aye : sous son « commandement », il perfectionnera sa maîtrise de la langue de Goethe et accumulera des expériences « client » inestimables et incroyables : dégustation de caviar sur le fleuve Orenoque, barbecue en Antarctique, réveil à 4 heures du matin pour découvrir des phoques couchés sur des bancs de sable …
En 1998, il pose définitivement le pied à terre : départ pour l’île Moustique afin de diriger le joyau « Cotton House » pour le compte de Grace Leo et de son groupe éponyme.
« Une personnalité rare, une visionnaire déjà connectée au Monde dans les années 90. Un sens aigu du produit, une vision du luxe et surtout une personnalité exigeante mais auprès de laquelle on avait la sensation d’être dans le mouvement » ajoute Yves.
En 2001, toujours en quête de produits tous aussi exclusifs, le voilà à New-York City, Restaurant Manager pour Alain Ducasse à l’Essex House.
Mais l’hôtellerie pure lui manque. Remarqué rapidement par un Chasseur de tête, il devient en 2003… Directeur de la Restauration du Ritz à Londres. Il fera au Ritz une des rencontres professionnelles les plus importantes de sa carrière : Luc Delafosse. « J’ai rarement croisé dans ma carrière un Directeur aussi professionnel. Professionnel, droit et juste. Un modèle. » précise Yves Wencker
En 2005, Michel Novatin, alors COO Kempinski, lui présente René Schmitt, président emblématique de Kempinski Chine. Ce dernier lui accordera sa totale confiance pour l’ouverture du premier boutique hôtel de Chine, le « Commune by The Great Wall » (devenu depuis Hyatt) !
Âgé alors de 36 ans, il pensera la « mise en scène » de ce lieu conçu par 12 architectes asiatiques et considéré, de nos jours, comme une merveille architecturale chinoise !
Travaillant jour et nuit, il crayonne la nuit l’aménagement hôtelier de chaque villa, défend aux côtés de son mentor… ce projet qu’aucun groupe hôtelier n’avait voulu porter. Ce défi sera couronné de succès.
En 2009, l’hôtel est devenu une référence « design hotel », une institution. La sensation d’avoir fait le tour, d’avoir mené à bien le projet ?
Devenu un leader expert fort de ses expériences à travers le Monde, l’aventure le rattrape : il embarque pour un nouveau projet, déjà établi mais non moins difficile à relever : repositionner le célèbre complexe mauricien, l’Heritage Telfair, les villas VALRICHE et le Domaine de Bel Ombre. Puis en 2011, Grace Leo lui demande d’accompagner la préouverture du Selman Marrakech. S’ensuit en 2012 la direction du Taj Palace Marrakech où il collectionnera en très peu de temps plusieurs récompenses. Aventurier, hôtelier de terrain, visionnaire et désormais conseil, décidément Yves est singulier : peu d’hôteliers ont acquis de telles expériences à 40 ans ! Tout semble sourire à Yves « as usual ».
« Yves c’est un personnage teinté de simplicité, d’humilité ; chez lui l’humour, le sourire c’est la politesse du cœur, la seule politesse qui vaille car bien souvent la politesse rhétorique est l’hypocrisie acceptable » ajoute cet ami, hôtelier retraité et auteur à ses heures.
Comme une envie de France
Pourtant en 2014, le besoin irrépressible de revenir en France (« l’envie de France » que connaissent nombre d’expatriés), de se rapprocher de sa famille, de ses parents est bien présent. Il doit rentrer en France.
Directeur Général de 5 hôtels pour un fonds d’investissement dans un premier temps (Wilburys Hotel Investment ), il rejoint en 2016, Disneyland Paris en qualité de « Director of lodging » pour les 7 établissements du Parc. Il y croisera des personnalités aussi remarquables que Patrick Avice, à l’époque Vice President Hotels, Business Solutions & Disney Village ou bien encore Daniel Delcourt, Senior Vice-Président, Opérations. Ce rôle transversal de premier plan lui permettra d’appréhender son Métier sous un autre angle : chez Disney, l’organisation est au cœur du modèle, l’improvisation n’existe pas dans les fonctions transversales, tout doit être pensé et contrôlé pour atteindre l’excellence. Cela nécessite non seulement des moyens humains et techniques importants, de l’expertise mais également du temps. Le processus décisionnel n’est plus vraiment le processus classique de l’hôtelier « maître à bord » qui vit souvent le présent, s’inscrit dans la réaction, dans l’improvisation souvent géniale. Chez Disney, les flux à gérer au sein du parc sont si importants que le choc organisationnel, pour une personne venant de l’hôtellerie traditionnelle, peut être fatal ! ». « L’entreprise est remarquable, l’organisation exceptionnelle, les projets permanents. Au quotidien, vous découvrez des outils d’aides à la décision performants. Cependant, pour un pur hôtelier, occuper une fonction de type Corporate sans le ressenti direct du terrain peut s’avérer être un problème» ajoute Yves.
Ce constat, je l’ai également dressé : plusieurs hôteliers de mes amis qui souhaitaient ardemment, dans un premier temps, devenir Directeurs Multisites ou intégrer des fonds d’investissements ont, depuis, regretté leur changement de « direction », leur réorientation, mettant en avant l’absence de contact client, d’opérationnalité.
En novembre 2019, il rejoint le Raphaël.
L’aventure Raphaël
Le voir évoluer au sein d’une institution comme le Raphaël était intéressant tant l’homme, en mouvement perpétuel et au regard rieur, contraste avec ce lieu quasi institutionnel, inamovible. On y a connu, en son sein, nombre d’hôteliers emblématiques accueillant des célébrités internationales, de Cary Grant à Serge Gainsbourg en passant par Rossellini ou des hommes politiques qui ont fait l’histoire (Shimon Peres, Yasser Arafat se sont croisés à l’hôtel Raphaël…). Cet hôtel est unique par son histoire, ses clients et son personnel.
Le Raphaël, un peu d’histoire
Construit et ouvert en 1925 par Clément Baverez et son associé Léonard Tauber qui, en passionné d’échec qu’il était, ponctuera la décoration de références à sa passion (il n’y a qu’à contempler cette merveille qu’est le sol en damier noir et blanc du Lobby, la galerie). Ces dix dernières années, l’arrivée de nouveaux acteurs hôteliers de prestige (Peninsula, Shangri La, Bvlgari, Cheval Blanc..) et la rénovation de Palaces mythiques, auraient pu « ringardiser » l’endroit. C’était sans compter sur le génie, l’intuition de ses créateurs en 1925 : merveille technologique de l’époque, décoration intérieure quasi-artistique. Les chambres aux toiles marouflées , aux dressings astucieux, aux sculptures et peintures faites main et sur place, les terrasses donnant sur les plus beaux monuments parisiens, le toit terrasse, des chambres communicantes permettant des privatisations complètes…Les fondateurs étaient sans nul doute des visionnaires : ils ont, en leur temps, utilisé toutes les clés qui font encore le succès des plus grands hôtels : innovation technologique, design, aménagement des chambres, toit terrasse permettant une vue sur les plus beaux monuments de Paris, intégration de chambres « single » destinées initialement au personnel de maison accompagnant la clientèle.
Confronté à la pandémie 4 mois après son arrivée à la tête de l’établissement, décision fut prise de fermer l’établissement. Le 1er juin 2021, la réouverture eut lieu. Cette année 2021, fortement amputée, s’avérera une année encourageante : résultats améliorés comme indiqué dans la lettre Boursier.com du 19 janvier 2022 , montée dans le classement Tripadvisor et passage réussi de Leading Hotels of the World (LHW) à Small Luxury Hotels (SLH).
Désormais, il est temps pour cet hôtelier d’élite de chasser d’autres étoiles…les pieds ancrés dans le sol.
Merci Yves.