La pandémie du Covid-19 a mis le secteur hôtelier mondial à genoux. La fin de l’année s’annonce sombre malgré la réouverture des frontières. L’aide de l’État ne sera pas éternelle et, si des rumeurs de ventes d’hôtels persistent, il n’y a aucune visibilité à court terme.
La perspective d’un retour à la normale pour le tourisme mondial affaibli semble s’amincir à vue d’œil. Pour cause, l’United Nations World Travel Organization annonce la couleur avec des pertes allant jusqu’à 1,2 trillion de dollars attendus dans le secteur cette année. À Maurice, les rumeurs de fermeture et de vente d’établissements hôteliers à l’approche de la fin de l’aide financière de l’État à travers le Wage Assistance Scheme (WAS) et le Self Employed Assistance Scheme (SEAS) demeurent persistantes. Du côté du gouvernement, on indique que, si vente il y aura, cela ne concerne pas pour l’instant les grands groupes hôteliers locaux, ni les enseignes internationales. «Si des propriétaires veulent vendre, ils vendront probablement leurs actions dans la compagnie mais ce ne sont que des rumeurs», dit-on.
Quid de la tendance du marché ? Les experts du secteur nous apportent une analyse considérant le contexte de la pandémie mondiale où tous les pays font face aux mêmes difficultés pour la relance du tourisme international. Avec des pertes de revenus, des pertes d’emplois, des fermetures et une suroffre plombant la valeur des actifs de l’industrie hôtelière dans le monde sur le marché, même la vente d’hôtels peut s’avérer difficile.
En attendant, à quelques mois du tomber de rideau sur 2020, quelle est la situation du tourisme local ? «Les mois à venir s’annoncent pénibles car, même après la réouverture de leurs frontières, les visiteurs étrangers ne vont pas se bousculer pour venir passer des vacances à Maurice. L’avenir du tourisme s’annonce plutôt sombre car il n’y a toujours pas de visibilité sur le court terme. Le forfait de quarantaine proposé de Rs 40 000 à Rs 50 000 est décourageant, surtout pour des familles qui souhaiteraient sortir de leur environnement et de leur stress du Covid-19. Vous imaginez, une famille de trois à cinq personnes devra débourser entre Rs 150 000 et Rs 250 000, uniquement pour la quarantaine, excluant les billets d’avion. C’est cher, très cher. Autant rester chez soi ou aller ailleurs», explique Sen Ramsamy, directeur général de la Tourism Business Intelligence.
Pas si simple de vendre
L’autre élément important à considérer, selon lui, est l’incertitude qui plane sur le sort des employés du tourisme et de l’hôtellerie, «d’autant plus que le WAS, tel qu’il est, mal appliqué, ne peut être éternel. Au-delà d’une assistance financière, il y a aussi la dignité humaine de ces milliers d’employés du tourisme à considérer. Le plus tôt nous relançons le tourisme, le mieux ce sera pour ces employés et pour le pays. Si le gouvernement veut promouvoir le même type de tourisme que l’ère préCovid-19, il est normal de s’inquiéter des risques de contamination, mais il y a d’autres types de tourisme à développer et d’autres clientèles à cibler pour remettre ce secteur au travail tout en protégeant la nation des risques. C’est une question de stratégie, de nouvelle vision et d’intelligence pour s’adapter à cette nouvelle réalité.»
En attendant la mise en place de ces stratégies, l’hôtellerie à Maurice comme à l’étranger, peine à sortir la tête hors de l’eau. «The road to recovery is going to be a long one. A full recovery will take time and it could take several years to return to the hotel demand levels we experienced in 2019», indiquait Christopher Nassetta, CEO du groupe Hilton au magazine Forbes. Face à ces gros calibres également en difficulté, il est donc fort probable que l’offre de vente d’établissements hôteliers dépasse largement le nombre d’investisseurs prêts à racheter des hôtels sur le marché mondial, incluant Maurice. «Il faut savoir que, même sans le Covid-19, la vente d’établissements hôteliers est normale, les transactions de ventes et d’achats sont choses courantes dans le secteur. Toutefois, avec un arrêt du tourisme et la fermeture des frontières à travers le monde, la donne change. Il y a déjà une suroffre pour l’hébergement avec les chambres d’hôte, Air BnB et les hôtels, entre autres ; il y a aussi la dette des hôtels à considérer. À Maurice, même avec une réouverture des frontières, les affaires tourneront au ralenti, le nombre d’arrivées touristiques ne suffira donc pas pour aider à redresser la situation financière de tous les hôtels de l’île. Vendre serait une option mais avec le manque de visibilité sur le futur du secteur, cela ne sera pas si simple», fait ressortir un expert du secteur.
Valeur réduite
De ce fait, avec de plus en plus d’établissements hôteliers à travers le monde qui pourraient mettre la clé sous la porte, il est probable qu’il y aura plus d’actifs en vente que d’investisseurs pour acheter, ce qui va donc accentuer la pression sur les prix du marché et réduire la valeur des hôtels en vente. «À Maurice, pour ces hôtels mis en vente, certains sont pour ainsi dire toujours en vente, les propriétaires voulant tester la valeur de leur actif sur le marché. Il y a des investisseurs, en particulier des Sud-Africains qui sont intéressés à acheter des hôtels à Maurice. Mais il faut aussi prendre en compte le fonctionnement de ces établissements avant la pandémie ; ceux qui étaient bien gérés pourront davantage s’en sortir en comptant en plus sur les aides gouvernementales comme la Mauritius Investment Corporation, que d’autres qui étaient déjà en mauvaise posture avant même la pandémie», tient à préciser, Bissoon Mungroo, président de l’Association des hôtels de charme.
Nouveau soufflé
En tout cas, on peut s’attendre à un remue-ménage dans le secteur hôtelier. «Il y a aussi pas mal d’investisseurs qui cherchent à se positionner dans ce secteur en attendant des jours meilleurs, d’autres qui souhaiteraient élargir leurs offres hôtelières et augmenter leur capacité de chambres avec une présence stratégique dans la région. La vente et l’achat d’hôtels, des contrats de location des murs d’hôtels et ceux de hotel management contracting vont prendre de l’essor dans le monde et notre région ne sera pas une exception. D’ailleurs, cela rendra l’industrie plus dynamique à l’avenir avec de nouveaux visages et de nouvelles cultures hôtelières. C’est bon pour le pays et pour la région. Et c’est là que l’organisation des Îles Vanille aurait dû capitaliser pour mieux repositionner la destination océan Indien sur la carte du monde. Mais elle sommeille depuis des lustres», dit Sen Ramsamy.
Il faut aussi connaître le profil des investisseurs qui s’intéressent à notre région, à savoir ceux de la Chine, du Moyen-Orient et de Singapour, entre autres, sans oublier la concurrence notamment des Seychelles et des Maldives. «S’il doit y avoir une reprise d’établissements hôteliers locaux par des investisseurs étrangers, ce n’est pas une mauvaise chose. Ils viennent avec une stratégie car ils y investissent leur argent. Ils viennent aussi avec leurs bonnes pratiques, nouvelle gestion et système de marketing, entre autres, et cela n’est pas forcément au détriment de la main-d’œuvre locale. Les Mauriciens sont capables et qualifiés pour gérer des hôtels; au contraire, la reprise d’un établissement hôtelier en difficulté par un investisseur étranger sauverait des emplois», ajoute cet expert du secteur.
La dette du secteur pourrait aussi diminuer avec un changement dans le paysage. Selon Sen Ramsamy, avec cette dynamique de changement de propriétaires et de gestionnaires d’hôtels, le problème de l’endettement sera réduit avec l’injection de nouveaux capitaux, de nouvelles pratiques et de nouveaux créneaux de développement qui pourraient voir le jour dans notre paysage touristique. «De ce fait, on pourrait donner un nouveau souffle à notre tourisme qui bat de l’aile depuis bien avant le Covid-19, et a l’économie mauricienne en général. Il nous faut aussi redonner confiance à ces milliers de Mauriciens qui travaillent dans ce secteur et donner de l’espoir à autant de jeunes qui apprennent le métier du tourisme au niveau tertiaire. Fermer nos frontières et attendre la fin du Covid-19 sans rien faire en interne pour revoir notre offre touristique n’est pas une option.»
Pour la région, il faut savoir que, depuis la réouverture de leurs frontières, les Seychelles et les Maldives peinent évidemment à attirer les touristes. Les Seychelles ont accueilli 2 072 touristes en août 2020 comparé à 33 536 touristes en 2019 et les Maldives ont vu arriver 7 628 touristes en août 2020 comparé à 139 338 touristes en août 2019.