« Je ne peux pas m’empêcher de penser différemment, je ne prends jamais ce qu’on me dit pour acquis. Quand une problématique m’interpelle, je dois la creuser jusqu’à ce je la résolve. » Sylvie, 60 ans, est surdouée. Un type de profils qu’a beaucoup étudié un psychiatre polonais du 20e siècle, Kazimierz Dabrowski. Ses études l’ont mené à définir 5 grands domaines d’hyperexcitabilité (intellectuelle, émotionnelle, sensitive, créative et psychomotrice), sur lesquels certains individus réagiraient avec une intensité bien plus élevée que la moyenne. Une excitabilité hors norme, qui a pour effet de ressentir les stimuli internes ou externes avec plus d’intensité, et d’y répondre de manière amplifiée. Avec pour conséquence positive de générer un fort degré d’enthousiasme et une volonté accrue, mais possiblement de la souffrance et une difficulté à gérer un si haut niveau d’énergie. C’est d’ailleurs là que se situe tout l’enjeu de l’équilibre pour les femmes HPI : parvenir à canaliser leur énergie en l’orientant efficacement.
C’est cette hyperexcitabilité intellectuelle qui va pousser Sylvie à s’investir et à creuser sans fin un sujet, peinant parfois à trouver le bouton off. « C’est épuisant, je n’arrive pas à empêcher mon cerveau de tourner. Le pire, c’est que je fatigue les autres parce que je ne sais pas lâcher prise sur un sujet non résolu ». Un épuisement mental qui touche plus souvent les femmes, plus investies dans leurs activités. Dans le domaine professionnel, cette surstimulation intellectuelle peut aussi agacer : « Ça surprend toujours quand je trouve la solution, et je me retrouve face à deux types de réaction : ceux que ça énerve parce que j’ai soulevé la poussière sous le tapis et ceux qui sont contents que le problème soit enfin mis en lumière. J’ai l’impression d’être une machine à détecter les imposteurs, et du coup, je leur fais peur et ils me prennent en grippe. Je peux vite devenir leur « tête de Turc » ».
En effet, les femmes HPI n’hésitent pas à discuter le statu quo et à challenger la norme en vigueur, si cela leur semble opportun et juste. Leur quête de compréhension ne s’arrête pas aux silos et aux enjeux de politique interne, qui passent bien souvent au second plan. Elles cherchent à comprendre avec objectivité, et pensent que cette quête de vérité leur octroie une légitimité à avancer. Or elles peuvent se retrouver, sans le savoir, dans des toiles politiques qui peuvent leur porter préjudice, et générer un épuisement intellectuel et émotionnel.
Une sensibilité hors norme
De nombreuses études ont révélé des différences entre hommes et femmes HPI, principalement dans le domaine sensitif et émotionnel. Cela a pour effet une plus grande porosité aux émotions qui les entourent et une intégration inconsciente de signaux faibles peu visibles par d’autres dans leur grille d’analyse. Cette plus grande considération de l’humain dans leur prises de décision en fait des individus profondément empathiques, avec une grande capacité d’écoute et d’accompagnement des personnes qui les sollicitent. En entreprise, lorsqu’elles sont parvenues à dépasser leur biais de contrôle intellectuel des situations et qu’elles comprennent que les autres n’ont pas le même fonctionnement singulier qu’elles, ces femmes sont souvent des managers appréciés qui comprennent et développent les équipes. « Je me rends compte que je me bats plus pour mes équipes que pour moi-même, je défends plus leurs augmentations que les miennes ! », remarque Clémence, 38 ans, qui a décidé d’entamer un travail pour se remettre au centre de ses préoccupations car son « sens de l’autre » exacerbé l’a poussée à trop s’oublier. « J’apprends aussi à être empathique et indulgente envers moi-même, et ce n’est vraiment pas simple ».
En s’impliquant plus que de raison, elles sont aussi plus souvent sujettes au burnout. Questionnement permanent et hypersensibilité peuvent faire mauvais ménage lorsque cela enclenche une machine infernale : traiter tous les dossiers rapidement, intégrer toujours plus d’informations et trouver toujours plus de solutions. Une intensité et un investissement énergétique importants, qui peuvent mener à l’épuisement quand les priorités sont mal établies : « Je n’ai pas besoin qu’on me stimule, j’ai un moteur interne qui fonctionne tout seul, explique Anne-Lise, qui a vécu un burnout conséquent. Mon manager ne filtrait rien, il m’en donnait toujours plus car il avait perçu ma soif d’apprendre. Quand il me critiquait, cela me faisait travailler encore plus pour le satisfaire. Je n’en pouvais plus mais je ne savais pas comment m’arrêter. » Anne-Lise évoque la difficulté qu’elle avait à exprimer ses difficultés à son manager. Bien souvent, ces derniers sont insuffisamment formés à la détection de ces profils intenses et à la prévention de leur tendance au burnout. Les sur-stimuler est souvent inutile, l’attention doit surtout être portée à l’équilibre, la bienveillance et la priorisation des demandes.
Un potentiel créatif souvent sous employé
Lorsque l’on parle de Haut Potentiel Intellectuel (HPI), on évoque rarement le potentiel créatif de ces profils. C’est pourtant un domaine d’hyperexcitabilité dans lequel ils excellent et qui les distingue fortement. Les femmes HPI elles-mêmes n’ont parfois pas conscience de ce talent pourtant certaines études, dont celle de Candace Gross et Kelly Jamieson parue en 2007, montrent qu’elles sont plus créatives que leur collègues masculins. Peut-être parce qu’elles se sont trop adaptées aux attentes d’une société qu’elles ont très bien comprise. Et en se nivelant par le bas, elles ont parfois mis de côté leur potentiel imaginatif et leur capacité à penser « out of the box ». Un talent créatif, mais pas forcément artistique, qui peut s’exprimer dans de nombreux domaines. « J’adore l’exercice de la page blanche sur laquelle il faut créer quelque chose de nouveau. Mon esprit s’agite, je pars dans tous les sens parce que je sens que tout est possible ». Lorsqu’elle évoque cette expérience, le regard de Sylvie pétille, on ressent aisément le plaisir et la joie que cela lui procure. Elle n’a pas peur de l’inconnu que suscite la nouveauté, même si elle évoque également la crainte de « se tromper et d’être jugée». Le fameux regard de l’autre, qui revient souvent lorsqu’on est porteur d’une différence même cognitive, et qui peut être un frein à l’émergence d’un potentiel qui peut faire peur, surtout dans des domaines peu habitués à être bousculés par des idées nouvelles.
Car lorsqu’elles innovent, les femmes HPI le font avec une vision globale et systémique. Cela les rend promptes à trouver des solutions nouvelles à des problématiques complexes car elles sont curieuses, avides d’apprentissage et volontaires. Lorsqu’un sujet leur permet d’exprimer tout cela à la fois, cela active tous leurs talents. Elles peuvent alors allumer leur capteurs sensoriels et émotionnels pour récolter toutes sortes d’informations, et les coupler à un moteur analytique puissant permettant de rationaliser le potentiel d’implémentation des solutions trouvées. Une créativité pragmatique en quelque sorte, assortie d’une intuition très développée qui leur permet de construire une vision inédite.
Ces nouvelles compétences, appelées « mad skills » ou disruptives, étaient jadis craintes. (…) Lire la suite sur Harvard Business Review