Vous souhaitez apprendre une nouvelle langue, créer une entreprise ou encore « booster votre carrière » ? Derrière votre écran et sans payer un euro ? Les propositions dans ce sens ne manquent pas sur les réseaux sociaux où foisonnent les offres de « formations 100% gratuite ». Les organismes proposant ces formations vous promettent en plus un « diplôme officiel », un bon d’achat Amazon ou encore une « tablette », gratuitement toujours. Et ce, grâce au CPF, le Compte personnel de formation. Vous avez même peut-être reçu un énième SMS intempestif vous informant que de nouveaux fonds ont été versés sur ce compte.
Le dispositif, créé par le second gouvernement Ayrault, existe depuis 2015. Il a alors succédé au Droit individuel à la formation (DIF) avec pour même objectif d’offrir, grâce à un financement public, la possibilité aux actifs d’acquérir de nouvelles compétences au cours de leur carrière. Après être resté dans l’ombre, le CPF a fait beaucoup parler de lui ces derniers mois en raison d’une vaste campagne d’arnaques.
Un pactole de plusieurs millions
Entre 10 et 12 millions d’euros auraient été détournés par des escrocs, estime la Caisse des dépôts, gestionnaire de la plateforme. Des dizaines de milliers de victimes ont vu leur budget formation s’envoler, détourné par des organismes frauduleux. Heureusement pour eux, les comptes arnaqués ont été recrédités par la Caisse des dépôts. « Mais cet argent, ces 12 millions perdus, c’est l’argent public, du Trésor. C’est énorme », insiste Jérôme Notin, directeur général de Cybermalveillance.gouv.fr. L’homme à la tête de la plateforme d’assistance et de prévention du risque numérique estime que l’évaluation actuelle est probablement en deçà de la réalité « car il y a bien évidemment des victimes qui ne se sont pas manifestées ».
Pour comprendre comment un tel casse a pu être réalisé, il faut remonter en arrière. A « l’été 2020, on a eu une explosion des signalements concernant le CPF », se rappelle Jérôme Notin. Le schéma qui se dessine est classique : des arnaqueurs ont flairé le filon du CPF, porté par l’actualité de l’échéance du transfert des heures DIF sur le nouveau dispositif, et représentant une manne considérable, avec plusieurs millions d’euros dormants.
A coup de campagnes massives d’appels, d’e-mails ou de SMS, les escrocs se sont alors attelés à récupérer les identifiants (e-mail et numéro de Sécurité sociale) des actifs pour accéder à leur compte de formation afin de le vider de ses crédits. « Il leur a suffi d’appeler ou d’envoyer un SMS à plein de numéros au hasard. Cela ne coûte pas très cher, et vous allez forcément tomber sur des lignes actives, explique le patron de la plateforme. Et puis on sait qu’il y a des fuites de données personnelles chez LinkedIn et Facebook, donc ces gens-là [les fraudeurs] disposent aussi de bases de données assez complètes. »
Des victimes rapportent ainsi avoir été contactées par des interlocuteurs bien renseignés à leur sujet. Confrontés à un discours rodé, beaucoup finissent par confier leurs identifiants et se voient inscrire, contre leur volonté, et sans être forcément prévenus, à une « formation ». Peggy Breney a été démarchée par téléphone en avril 2021. La commerciale de 42 ans a été « aidée » dans l’ouverture de son compte CPF par une opératrice téléphonique. Une fois l’appel terminé, elle a découvert qu’une formation avait été commandée depuis son compte, contre sa volonté. Quatre mois plus tard, elle n’en revient toujours pas.
« J’avais 4 300 euros sur mon compte, ils me les ont enlevés en cinq minutes. C’est tellement énorme, c’est une honte. »
Peggy Breney, victime d’une arnaque au compte CPFà franceinfo.fr
« Heureusement que j’ai pu récupérer l’argent. Mais j’ai dû passer des après-midis entières à faire des démarches. J’ai dû appeler au moins 100 fois l’organisme, je suis allée porter plainte à la gendarmerie, j’ai écrit à la Caisse des dépôts et ce n’est qu’au bout de trois mois que j’ai récupéré mon argent », tonne-t-elle.
Laetitia a vécu la même expérience malheureuse. Cette femme de 30 ans dit s’être ainsi « fait avoir en plongeant tête baissée » en novembre dernier. « Onne réfléchit pas », confie-t-elle. « Ils ont une stratégie marketing très agressive : ils ont utilisé le contexte sanitaire et mon ignorance sur le sujet. Le discours était commercial, j’avais l’impression qu’on essayait de me vendre un forfait téléphonique », se souvient-elle.
Une fourmilière d’arnaques
Derrière ces appels se trouvent des organismes qui proposent des formations trompeuses. Khadija Himmi-Cherifi, responsable de l’association de conseil en évolution professionnelle CEP paritaire Île-de-France, est confrontée depuis plusieurs mois aux histoires de personnes flouées par ces sociétés. Ces dernières promettent la gratuité des parcours « alors que ce n’est pas gratuit car c’est financé par le CPF ». Parfois ces sociétés usurpent l’identité d’autres organismes plus sérieux. Dans d’autres cas, elles proposent un contenu pédagogique bien en deçà des exigences.« Le CPF file dans les mains des truands, lâche-t-elle. J‘ai par exemple eu une dame qui voulait faire un perfectionnement Excel. Elle a été contactée par téléphone, a dit oui à une formation et a été ponctionnée de 2 000 euros de son compte CPF. Tout ça pour finalement ne recevoir qu’un bouquin. »
Sur la plateforme officielle, des formations aux certifications inexistantes sont ainsi proposées : à l’instar d’un cursus en vietnamien proposé avec le passage du test Lilate… qui n’existe pas dans cette langue. Toujours dans le champ des formations en langues, qui se doivent d’être certifiantes, on retrouve bien davantage d’offres qu’autorisées, pointe Arnaud Portanelli, cofondateur de l’organisme Lingueo, créateur du Lilate. « J’en ai signalé des centaines. Ils n’ont pas le droit d’afficher des certifications qu’ils n’ont pas, c’est totalement illégal », peste-t-il. Interrogé par franceinfo sur le cas de deux centres proposant des formations linguistiques certifiées Lilate, il assure qu’« aucun des deux » n’est agréé. « Je ne les connais ni d’Ève ni d’Adam et ils affichent le Lilate sur leur site. Ils n’ont pas le droit car ils ne peuvent tout simplement pas faire passer le test », abonde-t-il.
Or sans test, pas de certificat et « sans diplôme, comment prouver qu’on a bien suivi une formation ? » résume Alicia, 22 ans. L’ex-intérimaire assure avoir été arnaquée par le même organisme que Peggy Breney. Pour un budget de près de 900 euros, la jeune femme a suivi un module de formation en ligne de « dropshipping » et de création de site internet qui consistait en « une suite de vidéos à regarder ». « Depuis quatre mois que j’ai fini la formation, je n’ai aucune nouvelle du diplôme et du chèque cadeau Amazon qu’on m’avait promis, regrette-t-elle. Quand j’appelle le portable de la personne avec qui j’étais en contact, je tombe sur une messagerie en anglais (…). Je me suis bien fait avoir. »
« Ce qui m’a sauté aux yeux en regardant la plateforme, c’est qu’il y avait des organismes de formation qui affichaient un nom sur le compte personnel et un autre nom sur leur site web », décrit Mikaël Charbit, le directeur de la certification professionnelle à France compétences, l’autorité nationale en charge de la régulation de la formation professionnelle.
« Ils créaient une entreprise rapidement, faisaient une déclaration d’activité et quand la Caisse des dépôts leur tombait dessus, ils fermaient boutique et créaient une nouvelle entreprise à côté. »
Mikaël Charbit, directeur de la certification à France compétencesà franceinfo
Mais des organismes anciens sont également accusés de se cacher derrière ces offres : « Il y a des gens du milieu de la formation qui ont franchi la ligne pour être du côté obscur de la Force », estime ainsi Jérôme Notin. Dans ses recherches, franceinfo a identifié plusieurs organismes présentant des certifications dont ils ne disposent pas et, dans un cas, de fausses adresses. Par ailleurs, malgré des relances, plusieurs structures n’ont pas donné suite à la transmission d’informations complémentaires sur les offres qu’elles proposaient.
De son côté, la Caisse des dépôts assure avoir cherché à limiter ces détournements notamment avec la mise en place d’un outil d’identification sécurisé France connect, ajouté à la plateforme en janvier 2021. Depuis le 10 juin, les organismes de formation se voient aussi imposer un « délai de 11 jours ouvrés entre l’acceptation de la formation et son début ». « On rappelle que ni le ministère du Travail, ni la Caisse des dépôts, ni Pôle emploi n’appellent les actifs pour leur parler du CPF », explique la structure, qui poursuit en justice 26 organismes qui ont utilisé cette méthode.
Un milieu en mal d’encadrement
L’épidémie de Covid-19 a joué un rôle de catalyseur dans ce flot d’escroqueries en profitant notamment du déploiement des formations à distance, plus propices aux arnaques, et en contribuant à l’isolement des salariés. Le nombre de personnes intéressées par des formations a également explosé avec le boom des projets de reconversion. « On a été perturbé par la crise sanitaire dans nos enjeux de régulation car il y a eu beaucoup plus d’utilisateurs sur la plateforme que ce qu’on attendait, et également parce que c’était impossible de mettre en place nos nouvelles directives », relate Mikaël Charbit. Mais ces événements n’expliquent pas à eux seuls le nombre important de détournements signalés.
Les organismes et les formations peu sérieux officiaient bien avant la crise du Covid : « Ma conviction, c’est que cela a toujours existé », confie le directeur de la certification. Si les arnaques au CPF sont d’une ampleur inattendue, elles sont révélatrices de pratiques anciennes, estime-t-il, rappelant que « France compétences est une création récente. Avant le 1er janvier 2019, il n’y avait pas de régulateur officiel. Il y avait des acteurs qui jouaient ce rôle-là, mais pas d’acteur spécifique. » Le secteur de la formation professionnelle continue, qui brassait plus de 26 milliards d’euros à lui seul en 2017 selon les derniers chiffres de la Dares, est un milieu encore en cours de structuration en France. Une série de lois a contribué ces dernières années à le sécuriser et à faire monter en compétences ses acteurs, mais de nombreuses failles perdurent, et d’autres problèmes sont apparus.(…) Lire la suite sur France Ingo