Au lendemain de l’annonce de la fermeture des restaurants en zone rouge, la semaine dernière, le téléphone n’a pas dérougi au Clarendon. Les clients voulaient annuler leur séjour. En l’espace de quelques heures, l’établissement a vu s’envoler plus de 16 000 $ en réservations. D’où la décision crève-coeur, lundi midi, de mettre fin aux opérations au moins jusqu’à la fin du mois.
«On n’a plus de corporatif parce qu’il n’y a plus de réunions d’affaires. On n’a plus de touristes parce que les frontières sont fermées. Il n’y a plus de déplacements inter-régionaux. Il reste quoi pour l’hôtel? On n’en a plus de clients…», lance, un peu dépité, le copropriétaire de l’hôtel de la rue Sainte-Anne, Michel Côté.
«À moins que les gens de Québec se fassent un lunch et viennent coucher à l’hôtel…» ajoute-t-il avec une pointe d’ironie, histoire de mettre un baume sur les mauvaises nouvelles qui s’abattent sur le monde hôtelier de Québec.
Et elles sont nombreuses, ces mauvaises nouvelles, à écouter la directrice générale de l’Association hôtelière de la région de Québec (AHRQ). Selon les projections de Marjolaine de Sa, en plus des 18 hôtels et gîtes qui ont fermés dans les derniers jours, une soixantaine d’autres, sur les 224 membres que compte l’organisme, pourraient être obligés de faire de même d’ici la fin du mois, pour une durée indéterminée si le marasme persiste. «C’est plus catastrophique qu’au printemps», déplore Mme de Sa.
Les dommages collatéraux sont immenses. L’AHRQ évalue à environ 80 % des employés du secteur hôtelier de Québec qui ont été mis à pied, soit 4000 personnes.
Taux d’occupation famélique
Mardi après-midi, le Manoir du Lac Delage, incluant le centre de santé, s’est ajouté à la liste d’établissements qui ont décidé de mettre leurs opérations sur pause, jusqu’au 31 octobre. «En tant que citoyen corporatif responsable, nous considérons que les mesures prises par les différents paliers gouvernementaux concernant la COVID-19 sont importantes et doivent être respectées», a indiqué la direction dans un communiqué, sans aucune allusion à sa situation financière.
En temps normal, à cette période de l’année, les hôtels de Québec devraient afficher un taux d’occupation autour de 85 %. Depuis que la région a basculé en zone rouge, les chiffres oscillent entre 3 et 4 %, autant dire pratiquement le néant.
Face à cette désertion massive, Mme de Sa ne peut voir comment les établissements peuvent continuer à garder la tête hors de l’eau considérant les importants frais fixes à payer, comme les assurances, l’électricité, l’entretien et la sécurité. Selon elle, le gouvernement fédéral doit impérativement venir à leur secours.
«L’hôtelier ne demande pas une compensation pour la perte de revenus. Il demande de l’aide pour ses frais fixes», explique Mme de Sa qui craint que plusieurs établissements hôteliers, dont de «gros noms», ne puissent survivre à la crise sanitaire si elle s’étire. «Est-ce qu’ils vont être encore là s’il n’y a pas d’aide? Je ne sais pas.»
La directrice générale ne voit pas un semblant d’embellie avant la fin de 2021. Et pour retrouver le même niveau de fréquentation des trois dernières années, qu’elle qualifie de «fantastiques», elle parle de «cinq ans, minimum».
«On en a pour des années. Pour se remettre de la crise du H1N1, il a fallu trois ans et demi. Pour celle du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), 18 mois.»
Perte de 2,4 millions $
En fin de journée, mardi, Michel Côté devait prendre part à une conférence téléphonique avec ses associés et la direction d’une institution financière afin de prolonger une aide leur permettant de rester à flot face à cette deuxième vague.
Depuis la réouverture du Clarendon, en janvier, l’homme d’affaires évalue ses pertes à plus de 900 000 $. Pour les douze mois à venir, il les évalue à 2,4 millions $. Tout cela alors que l’établissement venait d’investir 10 millions afin de faire subir une cure de rajeunissement à ses 144 chambres, dans la foulée de l’incendie qui a touché le bâtiment patrimonial en janvier 2019.
«C’est un peu désespérant. Pendant qu’on apprend que la COVID a permis aux Québécois de consolider leurs dettes, nous, comme hôteliers, on n’a fait qu’augmenter notre passif et s’endetter à l’infini» mentionne M. Côté, qui soutient toutefois les gouvernements dans leur stratégie sanitaire. «Je ne suis pas contre ce qu’ils font, il ont raison. La santé doit passer avant l’économie.»
Rentrer dans sa coquille
M. Côté refuse toutefois de jeter l’éponge. «On va fermer jusqu’à la fin octobre. On verra alors ce que le gouvernement va décider pour la restauration. À partir de là, on va peut-être rouvrir, sinon on va attendre encore. La seule solution intelligente qu’il nous reste c’est de rentrer dans notre coquille de tortue et d’attendre que la tempête passe. Vaut mieux mettre un terme à nos souffrances de façon temporaire pour avoir une santé qui va nous permettre de vivre à long terme.»
En affaires depuis 45 ans, M. Côté avoue avoir «une solidité financière» qui devrait lui permettre d’éviter le pire. «On va être capable de passer au travers, mais faut être fort, faut être fort en tabarnouche…», conclut-il.