Selon les calculs de l’INSEE, la gestion de la pandémie aura fait perdre à la France une dizaine de points de Produit Intérieur Brut (PIB), un recul inédit depuis la 2ème Guerre mondiale. Pour comparaison, la crise de 2008 avait entrainé, l’année suivante, un recul de moins de 3% du PIB. Le taux de chômage devrait également dépasser les10% à la fin de l’année où un million de chômeurs sont attendus selon le directeur de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques.
Ce recul historique, qui ne concerne pas toutes les professions, touche massivement les secteurs du commerce et de l’artisanat, des services aux entreprises et aux ménages, ainsi que les artistes. Cibles privilégiées des mesures contraignantes du gouvernement, le secteur événementiel, l’hôtellerie et la restauration payent un lourd tribut, surtout les franges les plus précaires de leurs salariés : intérimaires et saisonniers.
La France étant le pays le plus touristique du monde, ce secteur représentait en 2018 près de 3 millions d’emplois et environ 7,5% du PIB. Ceci a particulièrement affecté la capitale ainsi que les régions méditerranéennes dépendantes du tourisme estival. Grâce au chômage partiel de leurs employés et aux aides de l’Etat, ces sociétés dépendant du tourisme ont survécu lorsque leur trésorerie leur permettait une année à perte. Les autres (beaucoup de petites entreprises familiales) ont déjà fermé boutique.
Et la plupart disparaitront si 2021 ressemble à 2020. Au final, ce sont à nouveau les entreprises et les salariés les plus vulnérables qui sont les plus impactées par la gestion de la crise. Ce n’est pas un hasard si l’INSEE comptabilise nettement plus de morts du Covid parmi les étrangers et les immigrés et constate que le département ayant connu la plus forte hausse de mortalité en mars-avril 2020 est la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine.
Comme l’écrit la DREES dans son dossier du mois de juillet, « le cumul des inégalités face à l’épidémie et face au confinement font ainsi de la crise sanitaire actuelle un fort révélateur d’inégalités sociales ».
La peur est toujours mauvaise conseillère
Par ailleurs, la combinaison de la détresse économique et sociale objective et de la peur ressentie par les personnes les plus fragiles, du fait d’une communication politique et médiatique terriblement anxiogène, a déjà et aura encore longtemps des conséquences sur la santé physique et mentale : augmentation des consommations de tabac, d’alcool et probablement d’autres drogues, anxiété, insomnie et autres troubles du sommeil, dépression, etc.
Sans parler des effets de la peur de la mort, de la culpabilité et des éventuels syndromes post-traumatiques et symptômes obsessionnels chez les personnes infectées et autres « cas positifs » dépistés. Chacun s’accorde à dire que le premier devoir du gouvernement comme de chaque citoyen est de protéger les personnes « à risque », mais il est temps de considérer que la vulnérabilité est tout autant psychosociale que physiologique.
Il est temps de rappeler que l’OMS elle-même, dans le préambule de la constitution, définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». A négliger les sujets fragiles autres que les personnes âgées, on risque fort de provoquer d’autres maladies mortelles dont les effets se feront sentir pendant de longues années.
De même qu’à trop endetter l’Etat pour maintenir le niveau de vie des salariés privés d’activité, on risque fort d’hypothéquer plus encore tout l’avenir des services publics, à commencer par celui de la santé. Enfin, c’est à nouveau la constitution de l’OMS qui déclare qu’« une opinion publique éclairée et une coopération active de la part du public sont d’une importance capitale pour l’amélioration de la santé des populations ».
C’est pourquoi nous réclamons que l’on en finisse avec les décisions prises dans l’entre-soi d’un « Conseil scientifique » ou d’un cabinet ministériel, pour ouvrir en retour un vrai débat démocratique sur la politique sanitaire.
Les premiers signataires
Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS
Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Université de Paris, ancien président des Etats Généraux de la Prévention
Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’INSERM, directeur de l’IRSAN