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Jacques Grange, l’architecte des harmonies

C'est le décorateur français le plus célébré au monde. Pour la sortie d'un somptueux volume présentant ses « OEuvres récentes » photographiées par François Halard, nous publions un extrait du texte signé de son ami Pierre Passebon.

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Enfant rêveur, Jacques n’aimait que dessiner. Sa scolarité en était affectée mais, curieusement, les professeurs répétaient à sa mère de ne pas s’inquiéter. Néanmoins inquiète, et contre l’avis de son mari, elle inscrivit Jacques à l’Ecole Boulle. Il avait 15 ans et ce fut, pour lui, le bonheur. Tout ce qui lui pesait dans ses études secondaires laissa place à un intérêt grandissant pour les matières de sa nouvelle école : ébénisterie, tapisserie, modelage, gravure, dessin, perspectives et histoire de l’art. Diplômé après quatre ans d’études, il s’inscrivit à l’Ecole Camondo, spécialisée dans la décoration d’intérieur.

En dehors de quelques pages dédiées dans les magazines, la décoration était loin de son milieu. Son camarade d’école était Michel-Yves Bolloré. Lorsqu’il découvrit l’intérieur de l’hôtel particulier de la famille, décoré par Henri Samuel, ce fut un choc. Jacques comprit que la décoration était un véritable métier. Des années plus tard, il demanda à la mère de Michel-Yves d’intervenir auprès d’Henri Samuel pour qu’il le prenne en stage, ce qu’il fit.

Son rôle d’assistant chez Henri Samuel était très stimulant. Il avait pour mission de surveiller les commandes chez les artistes. Il se souvient avec amusement de ses visites chez Diego Giacometti. Il était calme et charmant, mais il donnait souvent la priorité aux séduisantes clientes de passage, une galanterie exaspérante pour le respect des délais des autres clients. Henri Samuel ferma la maison Alavoine et le stage de Jaques Grange prit fin. Il avait 24 ans, Paris était une fête. Il sortait tous les soirs et devint l’ami d’une joyeuse bande : Karl Lagerfeld, Jacques de Bascher, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé.

Les générations elles aussi se télescopaient, l’âge étant plus une posture qu’un nombre d’années. Ceux qui avaient connu le dadaïsme des années 1920 retrouvaient l’esprit de provocation et de liberté qui allait refleurir en mai 1968. Louis Aragon, Madeleine Castaing, Marie-Laure de Noailles l’adoptèrent. La rencontre de Jacques avec « la Magicienne » Madeleine Castaing fut déterminante. L’enseignement qu’il retint d’elle et reprit toute sa vie était le suivant : « En décoration, il faut toujours évoquer, ne jamais reconstituer. » Les références de Madeleine étaient littéraires, celles de Jacques cinématographiques.

L’ami de la famille

Les expositions fleurissaient. Marie-Laure de Noailles, mécène éclairée, était aussi écrivain, mélomane et peintre. Elle exposait ses tableaux tous les ans à la même date, rue des Beaux-Arts. Intéressé par ce personnage flamboyant, Jacques se rendit à son vernissage qui se termina, en petit comité, dans l’hôtel particulier des Noailles, place des Etats-Unis. Marie-Laure aimait s’entourer d’artistes et de jeunesse. Jacques fut ébloui dès l’entrée : aux murs, des peintures de Goya, Rubens, Watteau et Delacroix côtoyaient celles de Picasso, Dali et Miro. Extrêmement cultivés et fortunés, Marie-Laure et Charles de Noailles avaient fait appel à Jean-Michel Frank. Sa rigueur et son sens des proportions fascinèrent Jacques. Il était classique et moderne à la fois, épuré et indémodable ; un exemple à suivre.

Plus tard, il découvrit l’Art déco lors de vacances chez les Noailles à Hyères, dans leur maison moderniste commandée à l’architecte Robert Mallet-Stevens en 1925. Parmi les meubles de Pierre Chareau, Djo-Bourgeois ou Mallet-Stevens, une vie insouciante s’écoulait gaiement. Jacques est resté proche de la famille. Carlo Peronne, petit-fils des Noailles, lui demanda de rafraîchir les salons de l’Ermitage de Pompadour, à Fontainebleau, demeure témoin du rayonnement des Noailles.

Il est aussi resté proche de plusieurs enfants de ses clients. Pierre-André Maus a confié à Jacques la décoration de ses maisons comme l’avaient fait ses parents, Bertrand et Micheline. De même, Pierre et Andrea Casiraghi étaient restés sensibles aux charmes des maisons de leur enfance, décorés par Jacques pour leur mère, la princesse Caroline. Lorsque chacun fut marié, ils demandèrent, comme une évidence mais avec la complicité de leur épouse, le concours de Jacques pour aménager leur foyer. Aerin Lauder, Megan et Laura Englander ou Stavros Niarchos feront de même aux Etats-Unis. Que son style soit apprécié de la nouvelle génération l’enchante.

En 1968, lors de la Biennale des antiquaires à Paris, Jacques fut séduit par le stand de Didier Aaron, stand en forme de polyèdre créé par son décorateur et associé, Alain Demachy. Jacques cherchait du travail. Il réussit à obtenir un rendez-vous avec Didier Aaron qui l’engagea sur-le-champ comme assistant d’Alain. Très rapidement, Didier Aaron lui confia ses premiers clients en tant que décorateur, l’encourageant avec une indéfectible et paternelle bienveillance.

Sa première grande cliente fut la princesse Ashraf Pahlavi, soeur jumelle du shah d’Iran. Satisfaite de son travail, elle le convoqua en Iran. Les voyages ont toujours été une source d’inspiration et d’émerveillement pour Jacques. Grâce aux Pahlavi, il découvrit l’Iran et l’Inde et surtout l’art moghol. Puis vint le Maroc. Au cours d’un séjour, invité par Yves Saint Laurent, il découvrit simultanément Marrakech et Andy Warhol. Ce fut une explosion de couleurs. Auprès d’eux, son univers se colora. Avoir un oeil est un don, avoir un style se travaille. Plus tard, sa relation avec Yves et Pierre Bergé devint professionnelle. Il eut la chance de réaliser toutes leurs demeures.

Comme Yves, Jacques s’appuie sur la fidélité de ses équipes et de ses artisans qui aboutit très souvent à une solide amitié. À l’instar de sa relation avec Terry de Gunzburg, fondatrice de By Terry, rencontrée alors qu’elle était une jeune maquilleuse et lui un jeune décorateur. La passion de Jacques pour le travail de Jean-Michel Frank, partagée avec Yves Saint Laurent, l’amena à rencontrer Ronald Lauder. Comme Charles de Noailles, ce mécène et amateur d’art est un passionné de décoration. Une complicité qui allait consolider le succès de Jacques en Amérique. La confiance de Caryl et Israël Englander lui permit de construire son premier projet d’architecture totale sur un terrain vierge : trois maisons de campagne à Greenwich.

L’âme d’une maison

Les nouveaux lieux et les nouveaux désirs de ces nouveaux clients l’amenèrent à harmoniser l’élégance française avec celle du Nouveau Monde. Le succès du Mark Hotel, dans l’Upper East Side à New York, commandé par Izak Senbahar, le rendit très célèbre aux Etats-Unis. Il influença certainement Francis Ford Coppola pour la rénovation de son hôtel en Italie, le Palazzo Margherita. Son premier message était extrêmement drôle et séduisant : « Je m’appelle Francis Ford Coppola, mon nom ne vous dit sans doute rien, mais je suis le père de Sofia. » Francis venait d’acheter le Palazzo à Bernalda, dans le sud de l’Italie, d’où ses grands-parents partirent pour émigrer aux Etats-Unis. À la demande de Francis, Jacques transforma le lieu en charmant petit hôtel.

D’autres succéderont : l’hôtel Cappuccino à Palma de Majorque pour Juan Picornell, la Villa Maïa à Lyon pour Christophe Gruy et, récemment, Cheval Blanc à Saint-Barthélemy pour le groupe LVMH, qu’Hélène Arnault souhaitait réhabiliter dans le goût des cabanes de Jacques à Comporta, au Portugal. À chacun de ces lieux publics, il essaie d’insuffler l’âme d’une maison privée. Mary-Kate et Ashley Olsen lui confièrent l’agencement de leur boutique de mode The Row à New York avec ce sympathique impératif.

Les lieux inspirés attirent Jacques. Il habite l’ancien appartement de Colette à Paris, a restauré la maison d’enfance de l’écrivaine à Saint-Sauveur-en-Puisaye, vient de s’attaquer à la villa méditerranéenne de Santo Sospir, aux célèbres murs tatoués par Jean Cocteau et meublée par Madeleine Castaing. Jacques est un passeur. (…) Lire la suite sur Les Echos

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