Professeure d’histoire contemporaine à l’université du Québec à Montréal depuis 2012, Julia Csergo a contribué, en tant que scientifique, à la mise en œuvre de la candidature de la France pour que le «repas gastronomique des Français» soit reconnu au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. En 2010, elle a publié La gastronomie est-elle une marchandise culturelle comme une autre ? (éditions Menu Fretin) pour témoigner des étapes, souvent conflictuelles, qui ont mené à cette candidature.
Comment expliquez-vous l’échec de la Cité de la gastronomie de Lyon et de quel œil voyez-vous l’ouverture de la Cité de la gastronomie de Dijon ?
Lyon, c’est une histoire triste. Lyon a fait la grande opération de réhabilitation de l’Hôtel Dieu pour mettre un hôtel de luxe, des restaurants et une galerie commerciale. Ce qu’on va appeler «équipement culturel» occupait une toute petite place. La Cité de Dijon s’est positionnée essentiellement du côté du commerce et du tourisme. Si on arrive à faire du lien social autour de ce thème, pourquoi pas, mais si c’est faire un quartier commercial, on sera loin des objectifs initiaux.
La Cité gastronomique de Dijon se défend d’être «un label qui figerait les savoir-faire uniques du pays de la bonne chère» et reconnaît la valeur de rituels renforçant les liens sociaux. Or les activités qui y sont proposées reprennent les codes du luxe…
Je dirais que c’est là toute l’ambiguïté. Si on regarde bien ce que dit le dossier de candidature de la France à l’Unesco, on se rend compte qu’en réalité, l’Etat français ne s’est pas véritablement engagé à mettre sur pied un équipement tel qu’il se l’était représenté : «L’Etat engagera une réflexion avec l’ensemble des acteurs concernés […] afin d’étudier les conditions de création d’un équipement culturel pluridisciplinaire à dimension nationale et internationale qui contribuera à sensibiliser le public à l’histoire, aux fonctions et valeurs de l’élément, ainsi qu’à la vitalité de ses expérimentations en France et dans le monde» (1). L’Etat ne s’est pas engagé au-delà de «susciter la réflexion», or le ministère de la Culture ne souhaitait pas s’engager sur ce terrain et l’Etat ne souhaitait pas avoir un budget à consacrer à un équipement culturel… C’est un désengagement total : financier et même idéologique de la rue de Valois, qui n’a jamais considéré que la gastronomie faisait partie du secteur culturel.
A partir de là, tout a été possible, ouvert, et chacun a envisagé des Cités de la gastronomie selon des contextes locaux. On assiste à une privatisation de ce bien commun avec des grands travaux, des grands groupes du BTP… Et puis il y a cette notion de luxe, de grands restaurants, de grands chefs. Comme on sait que la France est notoirement un grand acteur du luxe, tout le monde se précipite là-dessus sans travailler sur le tissu social ou sur les besoins qui auraient pu, par exemple, réunir des populations diverses. La gastronomie ce n’est pas que l’apanage des chefs, c’est à tout le monde, c’est un bien commun.
Vous regrettez que la France n’ait pas profité de cette reconnaissance de l’Unesco pour valoriser les savoir-faire ruraux, familiaux, voire les rituels de fêtes religieuses. Ces écueils seront-ils pris en compte dans les futures Cités de la gastronomie ou d’autres manifestations ? (…) Lire la suite sur Libération