On pourrait croire à un décor en préfabriqué. Le tourniquet d’entrée fonctionne, ses vitres sont étincelantes. Tout est impeccablement en ordre, pas un grain de poussière ne vient ternir le mobilier. Difficile, pourtant, de dissimuler le malaise. Car l’entrée du Swissôtel Zurich est vide. Ce n’est pas une exception. Rares sont les visiteurs à traverser ces jours le lobby de ce quatre-étoiles supérieur qui s’élance dans le ciel zurichois. Même le personnel – 270 salariés – s’est retranché à l’abri des regards.
Ce qui semblait inéluctable à la mi-septembre a été confirmé début novembre: l’entreprise qui exploite le Swissôtel Zurich (de même que le Swissôtel Basel) s’est mise en cessation de paiements, a déclaré Accor, propriétaire de l’enseigne. Retour quelques jours plus tard devant son portique: il est cette fois fermé jusqu’à nouvel avis «en raison de la situation actuelle». Le groupe hôtelier français dit discuter avec les propriétaires pour trouver ensemble un nouvel exploitant. Il existe une quarantaine d’établissements portant cette marque, répartis dans 17 pays. Celui de Berne, dont la réouverture est prévue en 2021, n’est pas concerné.
Lieu de rencontre de toute une génération
Pourtant, avant d’être un symbole des dégâts du Covid-19 sur le tourisme et l’hôtellerie, le bâtiment qui surplombe la gare d’Oerlikon est un emblème d’un tout autre genre: «l’Hôtel Zurich», comme il est encore appelé par certains, «était un symbole de la ville et de l’expansion de l’économie suisse dans les années 1980 et 1990», raconte Klaus Stöhlker, fondateur d’une entreprise de communication portant son nom. «C’était le lieu de rencontres et d’affaires pour toute une génération, à la fois pour les grandes conférences dans ses grandes salles, faciles d’accès, et les réunions plus intimes. C’est l’équivalent du Hyatt, près du lac de Zurich, aujourd’hui», poursuit-il. La présence de l’aéroport et de Messe Zürich, le parc des expositions, à proximité, lui assure un flux continu de conférences et de visiteurs.
Le bâtiment, alors un des plus hauts de Suisse, est achevé en 1972, trois ans après le début des travaux et onze ans après le début de sa planification. De style architectural brutaliste typique de cette époque, la tour en béton s’élance à 85 mètres, visible loin à la ronde, encore aujourd’hui. Inauguré sous le nom d’Hôtel International Zurich, il se targue de sa localisation, à mi-chemin entre l’aéroport et le centre-ville, au cœur d’une banlieue industrielle en pleine effervescence. Oerlikon, c’est aussi le nom d’un fleuron industriel suisse, alors à son apogée.
La municipalité de la Zurich, qui a mis le bâtiment à son inventaire des objets historiques, culturels et artistiques en 2013, voit aussi dans ce bâtiment l’incarnation «d’un nouveau type d’industrie hôtelière dans les années 1970, lié à l’internationalisation de l’économie et au développement de l’aviation civile après la Seconde Guerre mondiale». C’est le business des conférences internationales qui commence à se développer et que cet hôtel incarne plus qu’aucun autre, selon les autorités, autant qu’il représente le boom et la prospérité économique régionale.
Zurich, Berne, Genève et New York
Son propriétaire d’alors, Swissair, «ajoute aussi à cette splendeur», reprend Klaus Stöhlker. Il l’a d’abord été conjointement: c’est en 1980 que ce fleuron de l’économie s’associe à un autre, Nestlé, pour réaliser leurs ambitions dans l’hôtellerie. Ils avalent l’Hôtel International et le renomment Swissôtel. Ils complètent leur portefeuille avec l’Hôtel Président Wilson à Genève, le Bellevue à Berne et le Drake à New York, avant d’accoler cette marque à toujours plus d’établissements aux Etats-Unis et ailleurs.
Une étrange coentreprise? Pour Nestlé, en apparence, admet Albert Pfiffner, l’historien de la multinationale veveysanne. Pour Swissair, qui ne cesse de développer son réseau, cette diversification peut paraître logique. Après tout, la compagnie aérienne peut y loger son personnel navigant et des clients/passagers. Et pour Nestlé? L’historien rappelle que le groupe est déjà propriétaire de Stouffer’s, la marque américaine de produits surgelés, qui compte aussi son propre réseau d’hôtels aux Etats-Unis.
La marque Swissôtel s’étend dans le monde. Aux Etats-Unis, notamment, mais en Asie aussi la joint-venture ouvre ou rachète des hôtels emblématiques. Puis, en 1990, Nestlé se retire de la coentreprise, s’intéressant finalement plus à la restauration – pour y écouler ses produits surgelés – qu’à l’hôtellerie, et vend peu après aussi les hôtels Stouffer’s, qui comptaient, à ce moment-là, la marque Renaissance & Ramada Hotel. L’expansion continue quand même, avant de s’arrêter net: en 2001, la compagnie aérienne nationale est en manque cruel de liquidités. Vendre sa chaîne d’hôtels lui offre un répit. C’est Raffles Holdings qui rachète, avant d’être lui-même acquis par le fonds d’investissement Colony Capital. En 2015, la marque est cédée au français Accor.
Plus besoin de phare
La propriété zurichoise est la seule rescapée de cette aventure, les deux autres entités suisses ont été vendues, tandis que l’hôtel américain a été détruit en 2006. La «splendeur» de l’hôtel survit à la faillite de Swissair, mais pas longtemps. «Le nouveau boom de l’hôtellerie le fait apparaître désuet. Ces dernières années, il a surtout été utilisé comme une sorte de décharge de luxe pas chère pour touristes, image Klaus Stöhlker. Maintenant que de grands hôtels ont ouvert directement à l’aéroport et que Messe Zürich a perdu en influence, Oerlikon n’a plus besoin de «phares», plutôt de bons hôtels pour les PME mondiales.»
L’enseigne Swissôtel risque donc bien d’être décrochée de sa tour au cours des prochaines semaines. Mais cette dernière, bien que concurrencée par d’autres nouveaux bâtiments, restera un phare dans l’horizon. Occupé par qui? Accor reste muet sur les options possibles. La rumeur dit que le bâtiment – actuellement propriété de Credit Suisse – et ses 350 chambres pourraient être transformés en appartements meublés. Une fin modeste donc pour cette ancienne icône.