« Bien des épreuves ont été traversées depuis la création de la marque et notre famille prévoit toujours à long terme », explique à l’AFP son directeur général, Matthias Winkler.
Le mythique établissement mise sur les bons résultats des années précédentes et les aides publiques pour faire le dos rond alors qu’il doit composer avec l’absence de sa riche clientèle internationale.
D’ordinaire, cette dernière lui assure 92% des 23.000 nuitées annuelles, dans les 152 chambres et suites pastel à l’ordonnance raffinée dont les prix varient entre 400 et 2.300 euros en basse saison.
Comme tous les hôtels du pays, le Sacher ne reste ouvert actuellement que pour les rarissimes voyages d’affaires autorisés.
Taille humaine
Coup dur pour la vénérable enseigne, transmise de génération en génération et faisant maintenant figure d’exception dans l’impitoyable marché mondial des cinq étoiles, où les géants du luxe continuent leurs emplettes.
« La gestion à taille humaine va tourner à notre avantage », veut croire M. Winkler, gendre de la précédente maîtresse des lieux, elle-même simple « passeuse » dans cette institution patinée par le temps.
« Ici, on tranche les décisions en réunion de famille, sans prise d’ordre depuis l’étranger », s’enorgueillit le capitaine en pleine tempête, avant d’inviter à un voyage dans le temps.
L’épopée débute en 1832, avec beaucoup de cacao et ce qu’il faut de chantilly. Un jeune pâtissier, Franz Sacher, se voit commander un gâteau qui fera fureur à la cour.
Quarante-quatre ans plus tard, son fils ouvre l’hôtel actuel, mais c’est à sa visionnaire épouse que la maison doit une renommée sans égale.
Que l’on soit chef d’orchestre, banquier, danseuse, écrivain, parlementaire, comte, industriel ou ambassadeur tiré à quatre épingles en prévision d’un bal, on « descend chez Anna ».
Drive-in pâtissier
Noblesse juive et aristocratie chrétienne: le cosmopolitisme avant-gardiste qui fait rayonner Vienne s’épanouit, entouré de boiseries chaleureuses et de tapisseries de velours rouge.
Deux guerres mondiales et la chute des Habsbourg n’ont pas raison de ces festivités mondaines. Romy Schneider, Noureev, le Prince Charles, Jessye Norman… Le lobby se couvre encore de photos dédicacées.
Au fil des décennies, l’hôtel pousse les murs. Désormais, il occupe six immeubles néo-classiques dans le coeur de la cité classée à l’Unesco et au charme tranquille.
C’est un peu de cette légende que viennent chercher les Viennois en emportant une « Sacher Torte » au drive-in mis en place sur le trottoir, à l’occasion du confinement, dans une roulotte façon barbe à papa de foire.
« J’ai entendu dire à la télé qu’on pouvait passer en voiture s’acheter un gâteau et repartir », dit une cliente en se frottant les mains.
« J’ai trouvé l’idée fantastique: comme on ne peut plus voyager, je vais en envoyer un à ma tante en Allemagne pour ses 65 ans de mariage », énonce avec gourmandise Claudia Bednar au moment de payer.
Coup de lustre
Les pâtisseries s’arrachent comme des petits pains. Elles sont apportées directement par le concierge car voituriers, portiers et bagagistes sont en chômage partiel.
« Je fais un peu de tout maintenant », sourit Uwe Kotzendorfer, impeccable silhouette distinguée, 20 ans de service et enthousiasme intact.
Il guide aussi les menuisiers dans les étages, désertification rimant ici avec réparation. Les nombreuses chambres qui portent des noms de créations lyriques réclament en permanence leur petit coup de lustre.
Températures des mini-caves à vin, brillance du marbre en salle-de-bain: aux inspections de routines s’ajoutent désormais les précautions sanitaires – gel à disposition et tests hebdomadaires pour le personnel.
Même si tout tourne au ralenti, « une partie de l’histoire de l’Autriche repose toujours entre nos mains », souffle la directrice adjointe Doris Schwarz.
« Plus que jamais, il s’agit d’être à la hauteur », affirme-t-elle sous l’imposant portrait de matriarche représentant Anna Sacher, gros cigare à la main, deux bouledogues à ses pieds.