On pensait que le numéro six mondial de l’hôtellerie commençait à sortir la tête de l’eau. Au troisième trimestre, son chiffre d’affaires a certes chuté de 69%, à 329 millions d’euros. Mais sa situation s’est améliorée par rapport au deuxième trimestre.
Porté par une bonne saison estivale, surtout en Europe, l’hôtelier a remonté son prix de vente moyen à 70 euros, au lieu de 54 euros au trimestre précédent, tout en améliorant son taux d’occupation. Il a pu ainsi tripler sa recette unitaire moyenne par chambre (revpar) en la ramenant à 24 euros. Toutefois, ce léger regain a fait long feu.
Cet automne, l’emballement de la pandémie sur le Vieux Continent – une zone qui représente 59% de l’excédent brut d’exploitation de l’hôtelier – a de nouveau assombri les perspectives de la société. En manque de visibilité, les dirigeants n’ont fourni aucun objectif financier pour l’année 2020.
Le vaccin dope le titre
Fortement secouée par l’épidémie de Covid-19 qui a asséché la demande de voyages, l’action a plongé de 30% depuis le 1er janvier. Éjecté du CAC 40 en septembre dernier, le titre reste à des années-lumière de son plus-haut sur dix ans touché le 22 avril 2015, à 51,65 euros.
Une dégringolade qui s’explique aussi par le changement radical du marché du tourisme, bouleversé par l’ère du numérique et l’émergence de nouveaux acteurs comme Booking ou Airbnb.
Mais tout n’est pas perdu. L’annonce d’un vaccin contre le coronavirus a changé la donne. Les investisseurs ont alors acheté les valeurs les plus massacrées, y compris Accor, forçant ainsi les vendeurs à découvert à fermer leurs positions.
Prise dans ce tourbillon, l’action Accor a rebondi de 28% depuis l’annonce du vaccin de Pfizer, le 9 novembre. Feu de paille ou retournement durable ?
Aller de l’avant
Le numéro un européen de l’hôtellerie n’est pas sorti de l’auberge. En raison de l’atonie des voyages d’affaires et la chute du tourisme international, son revpar (l’indicateur de référence du secteur hôtelier) s’est effondré cette année en moyenne de 60% et UBS estime que, en 2022, celui-ci sera encore inférieur de 18% à son niveau de 2019.
La facture sera lourde pour Accor, qui a déjà affiché une perte nette historique de 1,5 milliard d’euros au premier semestre. En 2009, au plus fort de la crise des subprimes, son déficit net avait atteint 282 millions d’euros. Même affaibli par la crise, le groupe dirigé par Sébastien Bazin préfère se projeter vers un horizon plus lointain en poursuivant son développement.
Rien qu’au troisième trimestre, Accor a ouvert 57 hôtels, portant son parc à 5.121 établissements et 750.135 chambres.
À moyen terme, le groupe prévoit la mise en chantier de 1.192 hôtels supplémentaires représentant 208.000 chambres. Parallèlement, l’hôtelier a annoncé un plan d’économie massif de 200 millions d’euros d’ici 2022, sur une base de coûts récurrents de 1,2 milliard d’euros en 2019.
En réduisant ses coûts fixes, Accor donne ainsi un signal fort au marché. Le groupe disposera d’un levier opérationnel plus important au moment de la reprise de son activité, renforçant ainsi son profil boursier.
Inquiétudes pour Accorinvest
Cet effort sur les coûts, destiné à rendre le groupe plus agile, s’inscrit dans la transformation en profondeur du business model d’Accor. Cela fait bientôt cinq ans que le numéro un européen du secteur s’est délesté de ses murs pour copier le modèle des géants américains en tant qu’opérateur hôtelier sans actifs.
Le groupe a ainsi vendu 70% de sa foncière Accorinvest à des investisseurs internationaux pour 4,4 milliards d’euros. Mais il a voulu conserver 30% d’Accorinvest.
À cause de la pandémie, sa filiale se retrouve dans une situation financière délicate. Déjà endetté à hauteur de 4 milliards d’euros, un prêt garanti par l’État (PGE) serait à l’étude pour renflouer les caisses de la foncière avec en contrepartie une possible augmentation de capital.
En cas de recapitalisation, Accor devra donc payer une partie de l’addition. Autre sujet d’inquiétude : la stratégie initiée il y a trois ans autour de la multiplication des services adossés à l’hôtellerie a du plomb dans l’aile.
Les nouvelles activités (conciergerie, traiteur, gestion de lieux d’évènementiel, etc.), semblent peu adaptées à l’environnement actuel. Au premier semestre, la perte d’exploitation de ce segment a déjà atteint 16 millions d’euros, contre un déficit de 1 million un an plus tôt.
4 milliards d’euros de liquidités
Dans ce contexte difficile, Accor n’a pourtant jamais perdu le contrôle de sa trajectoire financière. Sébastien Bazin a eu la bonne idée de vendre une grande partie de son immobilier peu de temps avant la crise sanitaire. Le bilan reste très solide avec des liquidités qui excèdent 4 milliards d’euros.
En outre, la consommation de cash demeure maîtrisée et reste inférieure à 80 millions d’euros par mois. Avec cette manne financière, le premier hébergeur d’Europe pourrait profiter de la crise et repasser à l’offensive dans des zones où il est peu présent. Les investisseurs se sont mis à parier sur un rapprochement avec son concurrent anglais Intercontinental Hotels Group (IHG). Une opération qui aurait du sens.
Alors que le français est surtout présent en Europe (46% de ses chambres) et en Asie-Pacifique (31,5%), le britannique reste bien implanté en Amérique du Nord (59% de ses chambres). Ce rapprochement donnerait naissance au numéro un mondial du secteur avec 1,6 million de chambres, juste devant l’américain Marriott (1,4 million).
Reste que Sébastien Bazin a toujours préféré se renforcer par acquisitions ciblées (Raffles, Fairmont, Movenpick) plutôt que de se lancer dans un rachat de grande ampleur.
Un titre pas si bon marché
Avec la hausse récente de l’action, la valorisation boursière d’Accor n’est pas particulièrement modérée. La valeur d’entreprise (capitalisation boursière plus dette nette) rapportée à l’excédent brut d’exploitation prévu en 2022 ressort à 15, contre une moyenne de 12 sur les dix dernières années.
Ce ratio de valorisation est toutefois légèrement inférieur à ceux de ses concurrents comme les américains Marriott International (16) et Hilton International (16) ou l’anglais Intercontinental Hotels Group (17).
Nous sommes à la vente sur l’action depuis le 20 septembre 2019. Depuis, l’action a baissé de 25%. Tant que la vaccination ne sera pas généralisée à la population, il sera compliqué pour le premier hôtelier européen d’y voir plus clair.
Mais comme la Bourse est un marché d’anticipation, acheter l’action au plus fort de la crise pourrait s’avérer judicieux. Un pari certes audacieux, mais qui pourrait rapporter gros.